Si un arbre est malade…

Certains discours de Jésus rapportés dans les Évangiles ressemblent furieusement à des paraboles…

 « Supposez qu’un arbre soit bon, son fruit sera bon ; supposez-le malade, son fruit sera malade… » 

Gérard : J’étais à un colloque de deux jours avec le directeur des Ressources Humaines, mon chef. C’est un homme cynique, qui cache sa froideur et son manque d’empathie derrière des sourires hypocrites et une fausse bienveillance. Il a « beaucoup de ressources, peu d’humanité », comme on dit dans le milieu.

« … c’est au fruit qu’on reconnaît l’arbre. »

Le premier matin, il a pris la parole. Son discours, subtil, parlait des difficultés d’intégration de personnes issues de cultures étrangères. Il fallait entendre : les arabes, les musulmans. Il vendait son idéologie nauséabonde avec des phrases alambiquées comme « il faut reconnaître le challenge de concilier les valeurs occidentales de tolérance et de respect de la différence avec les attitudes parfois légalistes, empreintes de préjugés, de sociétés patriarcales ». J’étais écœuré… Dans mon précédent job, j’avais deux musulmans dans mon équipe, dont une femme voilée. Je me félicitais chaque jour de leur présence.

« Engeance de vipères, comment pourriez-vous dire de bonnes choses, alors que vous êtes mauvais ? … »

Mais comment attendre un autre discours de la part d’un type comme lui ? Je sais à quelle profondeur le racisme s’enracine chez cet homme. Je n’écoute plus ses arguments ; quand il nous fait un de ses discours moralisateurs, je pense à autre chose.

« Car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »

Un jour, je le provoquerai, je le forcerai à exprimer le fond de sa pensée, et ce jour-là tout le monde saura qui il est vraiment. Je le confondrai, il n’y survivra pas.

« L’homme bon, de son bon trésor, retire de bonnes choses ; l’homme mauvais, de son mauvais trésor, retire de mauvaises choses. » 

Des personnes comme lui n’ont pas leur place dans une société tolérante et ouverte.

« Or je vous le dis : les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole sans portée qu’ils auront proférée. »

Sylvie : Gérard, écoute-toi ! tu as utilisé ses paroles, ou du moins la façon dont tu les interprétais, pour juger cet homme, et tu en as conclu qu’il était mauvais. Comme il est mauvais, tu juges tout ce qu’il dit sur base de cette image négative que tu as de lui. A leur tour, ses paroles renforcent tes préjugés contre lui. Tu es enfermé dans un cercle qui ne te laisse aucune chance d’accéder à sa part lumineuse. Tout le monde a une part lumineuse ! Tes préjugés, tes certitudes t’enferment autant qu’elles l’enferment lui.

« Car c’est d’après tes paroles que tu seras justifié, et c’est d’après tes paroles que tu seras condamné. »

Tu le juges d’après ses paroles, mais écoute les tiennes ! Quelle différence entre le mépris que tu perçois chez lui envers les musulmans, et le mépris que tu as pour lui ? Crois-tu qu’il ne le sente pas, et qu’il n’en souffre pas ? Pourquoi lui fais-tu, à lui, ce que tu ne veux pas qu’il fasse aux autres ?

Sors de ce cercle vicieux, Gérard, change ton regard sur cet homme.

Crédit photo : Pixabay, license CC0

La prière et la justice

“Pourquoi le monde est-il si violent ? C’est trop injuste !” (Calimero)

Textes :               Luc 18, 1-8
                               Luc 12, 57-59
                               Matthieu 5, 23-26
                               Jean 3, 17-18
                               1 Corinthiens 6, 7-8

Le juge inique, illustration in Christ's object lessons, Ellen Gould White

Mes nouveaux voisins avaient l’air charmants. Un couple sans enfants, la quarantaine. Moi j’ai soixante-dix ans passés, je suis veuve. Je vis dans une vieille maison de maître, un peu à l’écart de la rue. Eux, ils avaient fait construire une villa moderne, toute de murs blanc immaculé et de baies vitrées. Je ne peux pas dire que la vue de ce cube me réjouissait, mais j’en avais pris mon parti.

Voilà qu’un jour, je reçois un avis de plainte. Le tilleul, le vieux tilleul centenaire que j’aime tant, leur faisait de l’ombre. Ils réclamaient son abattage. Ce tilleul était là bien avant qu’on vende le terrain sur lequel ils ont fait construire leur maison ! Il était là quand ils ont visité les lieux, quand ils ont acheté, quand ils ont fait les plans, quand ils ont emménagé. Est-ce ma faute s’ils ont fait construire leur maison à l’ombre de mon arbre ?

J’étais sereine, je crois à la justice. Quand le juge a ordonné l’abattage du tilleul, c’est comme si la foudre avait réduit ma vie en cendres. Je n’ai pas accepté cette décision. J’ai fait semblant, j’ai tergiversé, j’ai temporisé. Le juge m’a astreint à payer mille euros d’amende par jour passé sans abattage de l’arbre. Je ne peux m’y résoudre, mais je ne peux plus rien faire pour m’y opposer. Bientôt la valeur de l’amende dépassera celle de ma maison.

Je me sens gagnée par la haine. Plus je constate mon impuissance, plus je les hais. Ils se pavanent dans leur jardin, de temps en temps je surprends leur regard tourné vers ma maison, ils sourient, ils prennent plaisir à mon malheur. Ils me piétinent, ils se moquent de moi. Quand paieront-ils pour leur méchanceté ?

Quelle injustice ! Seigneur, je n’ai plus que toi. Entends ma prière ! Pourquoi ne me réponds-tu pas ? Comment peux-tu tolérer une pareille ignominie ? Est-ce donc toujours le méchant qui gagne ? Rends moi justice contre mes adversaires !

Hier, l’huissier qui vient de temps en temps constater l’état du tilleul a sonné à ma porte. Je suis appréciée pour mon extrême civilité, quand il a demandé à me parler, je l’ai fait entrer. Je lui ai même proposé du thé. Il a accepté. Puis il m’a parlé en ces termes :

« Je sais que vous êtes dégoutée par ce jugement. Je n’ai pas le droit d’avoir un avis sur la question. Cependant, me permettez-vous de vous donner un conseil ? » J’ai dit oui, de la voix la plus froide dont je sois capable.

« Que vous abattiez ce tilleul ou non n’a aucune importance ». Là, j’ai sursauté, évidemment. C’était tellement énorme que je n’ai pas trouvé quoi répondre. Il en a profité pour reprendre :

« La justice de ce monde conduit trop souvent aux larmes et au sang. Essayez une autre justice. L’enjeu ici n’est pas le tilleul ; l’enjeu c’est vous. Vos voisins n’ont jamais considéré votre point de vue, jamais ils ne se sont souciés de vos sentiments. Ils vivent dans leurs désirs égoïstes : ils ont déjà leur sanction. Vous, ne vous laissez pas gagner par la haine, par le sentiment de vengeance. Pardonnez et aimez. Votre récompense dépassera largement les sacrifices que vous consentirez. »

Sur ce, il m’a saluée poliment et il est parti.

J’ai fait couper le tilleul. Après, j’ai écrit une lettre à mes voisins en leur demandant de pardonner mon attitude envers eux. Ils ont intercédé auprès du juge pour que je sois dispensée de l’amende. Hier, ils m’ont invitée à boire un café. Ils m’ont raconté leurs tentatives désespérées pour avoir un enfant, un chemin de souffrances et d’espoirs déçus qui a failli briser leur couple. J’ai pleuré avec eux.

Merci, Seigneur, d’avoir entendu ma prière.

Crédit photo : Wikimedia, Public Domain. Illustration in Christ's object lessons by White, Ellen Gould Harmon, 1827-1915 

 

L’indignation de Moïse

Dans lequel Moïse se lamente sur notre pauvre monde.

Texte :                  Le Coran, sourate 18, versets 60-82

Moïse était en recherche, étranger dans son propre pays. Un jour, il décida de consacrer sa vie à la cause de la paix, et il partit à l’Orient, dans un pays en guerre, pour soigner les blessés.

La vie était dure, le confort inexistant, le risque d’être pris dans les bombardements, quotidien, mais Moïse continuait inlassablement à soigner, à écouter, à consoler.

A force, il finit par maîtriser la langue du pays au point de pouvoir mener une conversation. Une femme lui raconta comment elle et sa famille avaient tout perdu en un jour, leur magasin, leur maison, leur voiture, le fruit de longues années de labeur. Moïse était révolté par tant d’injustice. La femme qui se tenait devant lui, très digne, était vêtue de haillons, ses enfants crasseux, elle n’avait plus rien à elle. Il lui fit part de la colère qui bouillait en lui.

La femme lui dit : « Allah donne et Allah reprend. C’est lorsque nous nous attachons aux choses que nous devenons violents et injustes. Les gens qui ont détruit ma maison l’ont fait parce qu’ils pensaient avoir quelque chose à perdre, quelque chose de grande valeur. A cause de ce mensonge, ils ont perdu ce qui avait réellement de la valeur pour eux. »

Un jour, on apporta un enfant couvert de sang. La réanimation échoua : l’enfant était mort de ses blessures. Devant ce visage angélique, devant l’innocence assassinée, quelque chose se brisa en Moïse. Il se retira dans un endroit discret pour pleurer et hurler sa rage.

Un imam, passant à proximité, entendit ses cris et s’approcha. Il dit à Moïse: « Tant que nous nous verrons les uns les autres comme impurs, infidèles, des enfants comme celui-ci mourront. Comprends, Moïse, que c’est là l’ordre des choses tel que voulu par Allah »

Moïse hurla : « Dieu a voulu cela ? »

L’imam répondit : « Tu n’as pas la patience. Ce n’est pas dans la paix et la prospérité que nous apprenons, mais dans les larmes et le sang. Tant que leur rage deviendra ta rage, le sang des innocents coulera. Chasse la haine de ton cœur. »

« Le tyran qui tue nos enfants est toléré par Allah parce qu’il représente la loi et l’ordre. Sans lui, ce pays sombrerait dans des violences bien pires encore. Ce n’est pas la volonté d’Allah, mais c’est la conséquence de notre aveuglement. Allah consolide les murs de l’ordre violent des humains parce que nous ne sommes pas prêts à déterrer le trésor qui se trouve dessous, et tant que nous ne serons pas prêts, ces murs nous protégeront de nous-mêmes. Ne réfléchis-tu donc pas ? C’est par sollicitude pour nous qu’Allah agit ainsi. »

« Il nous faut encore grandir pour pouvoir remplacer la violence par l’amour. Le jour venu, c’est nous qui abattrons ces murailles. Serait-ce au Maître de faire les travaux lourds ? Non, vraiment, c’est à ses ouvriers qu’Il délègue la tâche ».