St Paul, prophète de l’amour (5)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte :

https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/5/1

Chapitre 5 : Un scandale.

"Ceux du dehors, Dieu les jugera.
 Otez le méchant du milieu de vous."

Le chapitre cinq introduit la première parabole. Celle-ci a pour sujet un scandale dans la communauté.

Après le discours sur la méthode, Paul passe à la pratique. Première parabole : un scandale qui secoue la communauté.

1On entend dire partout qu’il y a chez vous un cas d’inconduite, et d’inconduite telle qu’on ne la trouve même pas chez les païens : l’un de vous vit avec la femme de son père.

Les premiers mots du premier verset suggèrent d’emblée une atmosphère de médisance et de ragots : « On entend dire partout… ». S’en suit, comme il se doit dans tout bon scandale, l’accusation. Attardons-nous un moment sur celle-ci.

Toujours un scandale dévoile quelque chose de honteux, viole un tabou. Un tabou est un interdit dont il est interdit de parler. Le scandale doit donc contourner ce paradoxe, et il ne le fait jamais par dénonciation franche et explicite de la transgression de l’interdit, mais en la suggérant, en adoptant un langage hypocrite, sinon l’accusation risquerait de devenir plus scandaleuse encore que les actes qu’elle cherche à mettre au jour. En lisant le réquisitoire de Paul, tout le monde comprend qu’il s’agit de relation sexuelle illicite. De quoi pourrait-il s’agir d’autre ? Cependant, cela n’est pas dit explicitement. De même, le lien de parenté entre l’accusé et sa complice n’est pas clair. On déduit de la formule utilisée qu’il s’agit de la belle-mère de l’homme, mais ce n’est pas précisé. Il pourrait tout aussi bien s’agir de sa mère.

Pour pouvoir juger en conscience il faut connaître les faits, or St Paul nous présente un dossier à charge d’une maigreur et d’une ambigüité évidentes. Par contre, quand il s’agit d’informations non-factuelles destinées à étayer l’acte d’accusation, la parole se libère. Le scandale aurait peut-être une chance de s’éteindre tout seul s’il n’était précisé que même chez les païens, on n’agit pas ainsi. Comparaison parfaitement gratuite et sans substance, seulement destinée à charger un peu plus l’accusé.

Au premier verset, nous avons déjà un exemple frappant de l’ambiguïté du message de Paul. Il nous dit qu’il va nous parler dans le langage spirituel, mais il adopte d’emblée le comportement, le ton et le langage de l’accusateur, celui qui initie le scandale. Incroyablement, nous plongeons dans celui-ci sans nous poser une seconde la question de l’intention de St Paul à agir de la sorte.

Les actes qui suivent sont typiques des humains : « absent de corps mais présent d’esprit », j’ai jugé sans me préoccuper des faits. Parce qu’une situation m’est présentée comme scandaleuse, je plonge dans le scandale. La conséquence inéluctable, c’est la condamnation unanime et le meurtre du bouc émissaire, dans le but de préserver « l’esprit », de toute évidence pas saint ici. La précision sur l’absence du corps et la présence de l’esprit est redoutablement subtile. Elle dit que ce n’est pas Paul qui parle, mais nous ! C’est nous, les lecteurs, qui parlons, absolument incapables de juger objectivement sur base de ce qui nous est présenté, parce que cela a eu lieu – tant est que cela ait eu lieu – il y a deux mille ans, que par conséquent nous ne connaitrons jamais la vérité, et que l’accusation est d’une ambiguïté évidente. Malgré cela, nous plongeons tête baissée dans le piège parabolique, nous nous identifions aux accusateurs, et si cette scène prenait chair tout à coup devant moi, je me demande si je ne ferais pas partie des bourreaux. Voilà précisément la révélation, et d’ordinaire elle nous est absolument inaccessible. La seule manière de nous ouvrir les yeux sur la réalité de notre violence, c’est la ruse parabolique. Le fait que pendant deux mille ans nous ayons trouvé toutes les justifications possibles à cet appel de Paul à une justice inique et violente montre à quel point il a raison de dénoncer notre immaturité spirituelle et notre aveuglement. Alors il nous sert du lait : une histoire édifiante dans laquelle le coupable tout trouvé se voit retranché de la communauté pour la plus grande paix de celle-ci, et pour la gloire des hommes.

Paul insiste sur cette glorification de la violence du monde : « Et vous êtes enflés d’orgueil ! », « Il n’est pas beau, votre sujet de fierté ! ». Notons que ces deux exclamations sortent de la parabole, elles sont à prendre à la lettre. C’est là toute la difficulté de l’exercice de lecture. Comment distinguer ce qui est dénonciation directe et indirecte ? Comment discerner le Paul métaphorique, prototype de l’humain violent, et l’apôtre inspiré par l’Esprit ? A la logique, à la sagesse humaine, cet exploit est interdit. Il est réservé au cœur. Nous reconnaître dans ces paroles étranges, toute honte bue, tout orgueil vaincu, voilà la règle de lecture.

Le levain, au verset six, c’est ce qui fait gonfler la pâte de la violence collective, c’est l’unanimité sacrificielle. La Passion du Christ, en rendant explicite cette violence collective, nous invite à nous passer de ce « vieux levain » de « méchanceté et perversité » et à nous retrouver dans une communion joyeuse :

7Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes sans levain. Car le Christ, notre Pâque, a été immolé. 8Célébrons donc la fête, non pas avec du vieux levain, ni du levain de méchanceté et de perversité, mais avec des pains sans levain : dans la pureté et dans la vérité.

Les versets sept et huit sont a priori exemplaires du discours direct, mais en les lisant nous imaginons que ce « vieux levain » représente les actes d’inconduite cités nommément, alors que ce qui est visé ici, c’est notre tendance à la violence collective. Il est sans aucun doute très vieux, mais il est aussi très actuel.

Du verset neuf au verset onze, Paul reprend le rôle de l’humain violent pour résumer le principe d’expulsion du bouc émissaire tel que décrit par René Girard.

9Je vous ai écrit dans ma lettre de ne pas avoir de relations avec les débauchés. 10Je ne visais pas de façon générale les débauchés de ce monde, ou les rapaces et les filous ou les idolâtres, car il vous faudrait alors sortir du monde.

Pris à la lettre, ces propos ironiques disent que si nous rompions toute relation avec toute personne « de ce monde » qui ne suit pas les préceptes des évangiles, nous nous retrouverions tout seul… Quand les tiraillements, les dissensions ou les scandales menacent de faire éclater la communauté, il nous faut trouver d’urgence un coupable « du dehors », car sinon il ne nous reste que les « débauchés », les « rapaces », les « filous » et les « idolâtres » du dedans, c’est-à-dire nous.

12Est-ce à moi, en effet, de juger ceux du dehors ? N’est-ce pas ceux du dedans que vous avez à juger ? 13Ceux du dehors, Dieu les jugera. Otez le méchant du milieu de vous.

L’appel à l’expulsion de la victime émissaire se transforme, avec le retournement parabolique, en invitation à faire le tri en nous entre nos réflexes de violence et la prise de conscience que le mal que nous voyons si facilement à l’extérieur tient aussi domicile chez nous. 

Nous venons de parler de la difficulté de discerner le rôle pris par Paul. Dans ce chapitre, nous voyons deux exemples d’un critère qui peut nous y aider. La prétention des humains de se guider par la raison est, elle aussi, très orgueilleuse, et les arguments « logiques » qui nous servent d’excuse pour exercer la violence le sont rarement. Aussi Paul n’hésite-t-il pas à pointer du doigt les incohérences de ce discours. Un des critères qui permet de reconnaître la forme parabolique, c’est le ridicule, le contresens ou l’absurdité du raisonnement. L’épître aux Corinthiens ne manque pas de tels versets. Au début du chapitre, il y a cette accusation bancale, un peu ridicule : un homme vit avec la femme de son père. A la fin, Paul interdit d’abord toute relation avec le réprouvé, pour insister ensuite : « et même de ne pas manger avec un tel homme ». La surenchère est implicitement incluse dans le premier interdit, ce qui lui enlève toute pertinence. Interdire le repas pris en commun, et ensuite toute relation, cela aurait été cohérent, mais Paul fait l’inverse.

L’auteur de l’épître n’y va pas de main morte pour cette première mise en pratique de sa méthode pédagogique. Il se met en scène dans deux paraboles qui, au niveau de lecture littéral, incitent toutes deux au meurtre. Pour dénoncer cette violence, c’est-à-dire pour retourner la lecture, il nous faut nous reconnaître dans le portrait peu flatteur que Paul peint de nous : homicides au nom de la morale, de l’ordre, de la paix dans la communauté, nous n’hésitons pas à nous faire juges, procureurs et bourreaux. L’explication de la nécessité d’un langage parabolique, que Paul avait esquissée au chapitre quatre, c’est notre violence, et la difficulté de nous y confronter en toute conscience.

St Paul, prophète de l’amour (4)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte : https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/4/1

Chapitre 4. Le langage parabolique de Paul.

"Que préférez-vous ?
Que je vienne à vous
avec des verges
ou avec amour et dans
un esprit de douceur ?"

Après avoir insisté sur la nécessité d’un langage parabolique, Paul nous en livre la clé. Dans les chapitres qui vont suivre, il se substituera à l’humain aveugle, afin que nous ne puissions pas nous reconnaître dans le portrait qu’il brosse.

Ayant rappelé la nature de sa mission d’apôtre, Paul éclaire une nouvelle facette du dualisme hommes / Dieu : le jugement. Ne jugez pas à la manière des hommes ! Pour autant, vous ne pourrez pas juger en conscience « avant que vienne le Seigneur » (v.5). Les allusions apocalyptiques sont toutes à mettre en lien avec le basculement entre les deux langages de la parabole, qui lui-même est concordant avec le basculement vers la sagesse de Dieu.

5Par conséquent, ne jugez pas avant le temps, avant que vienne le Seigneur. C’est lui qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et mettra en évidence les desseins des cœurs. Alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui revient.

Passer d’une lecture « charnelle » à une lecture « spirituelle », et la « venue du Seigneur », ce sont deux événements indissociables. Il ne s’agit pas d’une prouesse intellectuelle, mais d’un retournement de l’être, qui rend capable de reconnaître la parole divine au-delà de la parole humaine.

6C’est à cause de vous, frères, que j’ai présenté cela sous une autre forme, en l’appliquant à Apollos et à moi-même, afin qu’à notre exemple vous appreniez à ne pas vous enfler d’orgueil en prenant le parti de l’un contre l’autre.

Le verset 6 est la clé de lecture de l’épître. Il s’appuie sur les versets qui précèdent, sur la suite logique de causes et de conséquences. Parce que nous sommes persuadés détenir la sagesse et la vérité, orgueilleux autant qu’aveugles, le langage parabolique est le seul qui puisse percer les murs de notre inconscience. Paul aimerait bien pouvoir s’adresser à nous comme à des êtres conscients et responsables, mais parce qu’il n’en est pas ainsi, lui et ses compagnons (allusion aux prophètes) doivent se résigner à la « dernière place, comme des condamnés à mort ».

Tentons de traduire les mots mystérieux du verset six en langage prosaïque, avec l’aide des explications qui précèdent :

Aucune parole directe et sensée ne pourra jamais percer les murailles de votre inconscience. Vous n’êtes pas prêts à l’entendre. Dans les chapitres qui suivent, je vais prendre la place de l’humanité. Ce que je vais dire de vous, je vais « le présenter sous une autre forme », « [l’appliquer] à Apollos et à moi-même ». Je vais me présenter à vous comme l’archétype de l’humain aveugle, orgueilleux, borné, violent. Le jour où vous comprendrez que ce n’est pas de moi qu’il s’agit, mais de nous, les humains, ce jour vous serez aussi capables de contempler votre violence sans succomber, et de vous convertir. D’ici là vous entendrez dans mes paroles ce que vous voudrez entendre : une confirmation de la justesse de vos cultures, de vos croyances, de vos mœurs, de vos choix de vie.

Le verset six est l’aboutissement des quatre premiers chapitres de l’épître, qui forment le « discours sur la méthode ». Dans cette longue introduction, Paul explique la raison du langage parabolique qu’il va utiliser dans la suite, et en ébauche les règles. Nous verrons à quel point cet éclairage est précieux pour l’exercice surhumain consistant à discerner, dans les écritures, ce qui est des hommes et ce qui est de Dieu.

St Paul, prophète de l’amour (3)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte : https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/3/1

Chapitre 3 :     Sourds au langage de l’Esprit.

"C’est du lait que je vous ai fait boire,
non de la nourriture solide :
vous ne l’auriez pas supportée."

Si Paul affirme écrire son épître en langage spirituel, il précise aussitôt que celui-ci ne nous est pas accessible, que nous n’avons pas la maturité pour l’entendre, et que s’il nous était révélé il nous serait insupportable. Dès lors, nous lisons le texte comme « des petits enfants ». Implicitement, Paul décrit un autre langage présent dans le texte, un langage humain, charnel. Le langage spirituel dont il était question au chapitre deux est caché, et sa révélation ne pourra avoir lieu qu’au jour du jugement.

Le chapitre deux précise que le langage spirituel de l’épître est destiné aux « chrétiens adultes », or le chapitre trois commence par décrire les Corinthiens (c’est-à-dire nous) comme « des petits enfants en Christ ». Après nous avoir dit qu’il allait s’adresser à nous en langage spirituel, Paul annonce qu’au contraire, il va nous parler comme à des enfants, avec un langage du monde :

2C’est du lait que je vous ai fait boire, non de la nourriture solide : vous ne l’auriez pas supportée.

La raison ? Nous sommes « encore charnels », il y a chez nous « jalousies et querelles » (v.3)

Il y a là une contradiction, qui ne peut être levée qu’avec la dualité du langage parabolique, langage à plusieurs niveaux qui s’adresse aussi bien aux « enfants » qu’aux « adultes ».

Dans la suite, du verset cinq à la fin du chapitre, Paul va encadrer une belle réflexion sur la grâce et sur les œuvres humaines par des considérations sur notre tendance à idolâtrer les messagers, plutôt que de nous convertir au message qu’ils portent.

5Qu’est-ce donc qu’Apollos ? Qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez été amenés à la foi ; chacun d’eux a agi selon les dons que le Seigneur lui a accordés.

21Ainsi, que personne ne fonde sa fierté sur des hommes, car tout est à vous : 22Paul, Apollos, ou Céphas, le monde, la vie ou la mort, le présent ou l’avenir, tout est à vous, 23mais vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce passage, qui place résolument l’humain au centre (« Car le temple de Dieu est saint, et ce temple, c’est vous. » , v. 17), mais pour notre propos, retenons le conseil de Paul de ne pas « fonder notre fierté sur des hommes ». C’est à lui-même et aux autres prophètes et apôtres qu’il pense lorsqu’il écrit cela. Cet effacement de l’apôtre est crucial pour la compréhension de la suite de l’épître. En effet, c’est parce que nous n’avons pas résisté à la tentation d’idolâtrer les messagers que nous sommes incapables d’entendre le fond du message.

Les trois premiers chapitres insistent sur la nécessité d’un langage parabolique qui mêle le langage spirituel et le langage des humains. Les deux sont incompatibles, et le premier nous est inaudible, et quand il ne l’est pas il est insupportable. Bien mystérieux langage en vérité ! Comment la Parole de Dieu pourrait-elle nous être insupportable ? Ne sommes-nous pas assoiffés de cette eau vive ?

St Paul, prophète de l’amour (2)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Chapitre 2 :     Le langage de l’Esprit.

"L’homme laissé à sa seule nature
n’accepte pas ce qui vient de
l’Esprit de Dieu"

Le premier chapitre faisait le constat du double fossé qui sépare la cité de Dieu de la cité des hommes : d’une part l’amour et la concorde, et le langage qui va avec ; d’autre part la discorde et l’incompréhension profonde de ce langage, dont Paul nous dit qu’il est aux antipodes du langage humain, basé sur la sagesse et l’intelligence.

Partant de là, Paul fait le constat qu’une approche autoritaire n’a aucune chance de nous ouvrir les yeux. C’est en venant « faible, craintif et tout tremblant » qu’il peut nous révéler la sagesse divine. Or bizarrement, il va faire usage tout au long de l’épître d’un ton autoritaire, sûr de lui, souvent condescendant. La suite revient sur le problème du langage ; celui de l’Esprit est inaccessible à notre sagesse et à notre intelligence, et pour cette raison il est, à ce jour, resté caché aux humains. Or Paul précise que c’est bien ce langage inaccessible qu’il utilise dans l’épître. Il y a donc un message qui nous est invisible, livré dans une langue qui nous est étrangère, et dont il est suggéré qu’elle est à l’opposé des apparences.

1Moi-même, quand je suis venu chez vous, frères, ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je suis venu vous annoncer le mystère de Dieu. 2Car j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié.

Le début du chapitre deux préfigure la forme parabolique qui va suivre. En apparence, Paul rappelle aux Corinthiens les débuts de leurs relations. Souvenons-nous cependant que les Corinthiens représentent, métaphoriquement, l’humanité entière. La conjugaison au passé et l’allusion à des événements révolus cachent la réalité parabolique du passage. C’est au présent et au futur qu’il faut conjuguer ces textes. Paul nous annonce ici avec quel langage il va s’adresser à nous dans les chapitres qui vont suivre.

4ma parole et ma prédication n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse, mais elles étaient une démonstration faite par la puissance de l’Esprit, 5afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.

Traduits dans le paradigme universel et intemporel, ces versets deviennent : « je vous préviens, dans ce qui va suivre, le fond du message n’aura rien du discours habituel qui séduit les humains. S’il en était ainsi, à cause de ce que je vous ai expliqué au premier chapitre, votre foi ne pourrait pas s’élever vers Dieu. Cette faiblesse, cette douceur qui vous semble ridicule et scandaleuse à la fois, c’est bien une sagesse, c’est cette sagesse divine que vous êtes incapables de comprendre, « mystérieuse et demeurée cachée » (v. 7) ». Cette sagesse est destinée « aux chrétiens adultes » (v. 6), et nous verrons que cette précision fait le lien avec le chapitre 3.

 12Pour nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les dons de la grâce de Dieu.

Nous, c’est-à-dire Paul lui-même et les prophètes qui l’ont précédé. Ce sont les seuls humains qui aient eu accès à cette sagesse divine…

13Et nous n’en parlons pas dans le langage qu’enseigne la sagesse humaine, mais dans celui qu’enseigne l’Esprit, exprimant ce qui est spirituel en termes spirituels.

Et Paul insiste : le langage qu’il va utiliser sera celui de l’Esprit, si difficilement audible pour nous parce que

14L’homme laissé à sa seule nature n’accepte pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu. C’est une folie pour lui, il ne peut le connaître, car c’est spirituellement qu’on en juge.

Sommes-nous capables d’entendre ce que Paul va nous dire ? C’est à cette question que le chapitre trois va répondre.

St Paul, prophète de l’amour

Après une petite pause, le blog change de ton pendant l’été. Les prochains articles seront consacrés à une relecture de la première épître aux Corinthiens.

St Paul est déconcertant. Bien des versets chantent la liberté dans et par l’amour, bien d’autres semblent couper aussitôt les ailes à cette liberté tant désirée. L’Esprit plutôt que la loi, proclame Paul, mais à peine avons-nous le temps de nous réjouir de cette révolution libératrice qu’il se transforme en gardien des conventions les plus raides, de la loi la plus desséchante, du puritanisme le plus sec. Le diagnostic est aisé : névrose ! Tiraillé entre la révélation de l’amour qui le foudroie sur la route de Damas et ses certitudes de Juif légaliste, Paul est incapable de choisir.

A moins que… Et si ce langage paradoxal cachait une autre réalité ? Dans cette lecture de la première épître aux Corinthiens, nous allons oublier tout ce que nous croyons savoir sur St Paul. Au lieu de projeter nos connaissances et nos idées reçues sur le texte, nous allons le laisser faire son travail de révélation et de transformation sur nous. Peut-être découvrirons-nous ainsi que St Paul est bien le disciple du Christ Sauveur, infiniment plus conscient que nous, et que les névrosés ne sont pas ceux qu’on croit…

Chapitre 1 :     Des hommes et un Dieu.

"nous prêchons un Messie crucifié,
scandale pour les Juifs,
folie pour les païens"

Dans le premier chapitre, Paul pose les bases de son témoignage à partir de deux concepts. Premièrement, le contraste entre la cité de Dieu et la cité des hommes. La grâce d’une part, les dissensions de l’autre. En Dieu et en Jésus-Christ, tout est concorde et communion ; dans le monde des humains règnent les disputes. Le deuxième concept est celui du déni et de l’aveuglement des humains, qui sans cesse confondent la violence et l’amour, si bien que quand ils reçoivent une parole de vérité, elle les scandalise et ils la rejettent. Le constat de Paul, c’est que les humains prennent pour folie et scandale ce qui est sagesse, et pour sagesse ce qui les maintient en servitude. Cet aveuglement anthropologique justifie le texte qui suit. L’épître aux Corinthiens répond à la question : comment remettre les choses à l’endroit ?

La salutation s’adresse à l’Eglise de Corinthe, présentée par Paul comme l’assemblée de « ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus ». Les Corinthiens sont-ils déjà saints ? Certes, il ne leur manque « aucun don de la grâce » (v. 7), ils ont tout reçu ; pour autant, ils en sont encore à attendre « la révélation de notre Seigneur Jésus-Christ » (v. 7). La sainteté n’est donc pas une conséquence automatique et immédiate de la conversion au Christ, mais une promesse pour le futur, comme le confirme l’allusion apocalyptique au « jour de notre Seigneur Jésus-Christ » (v. 8).

L’introduction bascule rapidement dans la dénonciation des divisions qui règnent : « il y a des discordes parmi vous » (v. 11). Chacun se revendique d’un courant apostolique au lieu de faire communion en Christ. Voilà une description d’une communauté humaine qui pourrait fort bien s’appliquer à toutes les communautés humaines.

Dans la suite nous ferons l’hypothèse que Paul utilise les Corinthiens comme métaphore de toutes les collectivités humaines. On peut bien sûr prendre ses allusions au baptême des membres de l’Eglise (v. 13 à 17) comme un fait historique, mais avec le langage métaphorique, ces « faits » deviennent l’intrigue d’une histoire (inventée ou non, basée sur des faits réels ou non) qui cherche à révéler des vérités anthropologiques, universelles sur l’humain. La mission de Paul c’est l’annonce de l’Evangile (v. 17), et bien plus que de parler de son action à Corinthe, c’est ce que Paul va faire dans la suite.

Jusqu’au verset 17 on a donc un portrait dual de l’humanité, déchirée entre la communion et la discorde, l’amour et la violence. La situation ne serait pas si catastrophique si les humains étaient capables de choisir entre ces deux faces de leur nature. Malheureusement, notre aveuglement nous condamne à la confusion entre le bien et le mal. Même « la sagesse des sages et l’intelligence des intelligents » (v. 19) participe au monde délictueux des humains. On a là une première allusion à la nécessité d’un langage « de folie » :

21En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient.

C’est un langage résolument différent du langage de sagesse et de raison auquel les humains s’accrochent. Malgré cet avertissement clair, nous n’aurons de cesse jusqu’à ce jour d’interpréter les écrits de Paul avec notre langage à nous.

Paradoxalement, les propos de Paul sont raisonnables, cohérents, ses arguments sont imparables. L’humanité inconsciente et violente pense détenir la sagesse avec son langage de raison ; dès lors, l’ordre divin ne peut se révéler à elle que par un langage déraisonnable, fou et scandaleux. La raison ne peut pas vous donner la vue, dit Paul ; aucun discours de sagesse humaine ne peut vous révéler la réalité de la croix, « scandale pour les Juifs, folie pour les païens » (v. 23), mais une fois touchés par l’Esprit, par son langage irrationnel et scandaleux pour vous, alors la vérité vous apparaîtra :

25[…] ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

C’est donc un double basculement, celui de notre perception du réel et celui du langage utilisé pour le décrire, que Paul annonce ici. Il le complète par un troisième aspect, celui de l’Eglise au sein de laquelle ce basculement doit se réaliser (v. 26 à 31).

27Mais ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages; ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort.

Elle n’échappe pas à la règle : elle devra, pour confondre les mensonges des humains, se faire petite, humble, persécutée, à l’opposé de toutes les recettes humaines dont les ingrédients sont pouvoir, force, domination, orgueil.

31afin, comme dit l’Ecriture, que celui qui fait le fier, fasse le fier dans le Seigneur.

La première épître aux Corinthiens débute par le constat de l’incompatibilité du langage des humains avec la Parole de Dieu que Paul, ses amis et les prophètes qui l’ont précédé veulent nous faire entendre. Dès lors, comment s’adresser à nous ? Les trois chapitres suivants s’attèlent à résoudre cet épineux problème.