St Paul, prophète de l’amour (14)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte : https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/16/1

Chapitre 16 :  dernières recommandations.

"Je vous aime tous
en Jésus Christ."

Un appel à la tolérance et à l’espérance pour terminer l’épître.

Le dernier chapitre commence par ce qui ressemble à des considérations pratiques, des instructions pour la collecte et une information sur l’agenda de Paul pour les mois à venir. Il ne faut pas s’y laisser prendre, plusieurs indices montrent qu’on n’a pas encore quitté le langage parabolique. La collecte est « en faveur des saints », on en déduit qu’elle est destinée aux apôtres. Pourtant on voit mal les apôtres, à Jérusalem, ponctionner les lointaines Eglises pour mener grand train, ni même pour financer leurs activités missionnaires. Les saints et Jérusalem font sans doute référence aux saints des derniers jours et à la Jérusalem céleste établie sur terre ; c’est une allusion apocalyptique. La collecte ce sont les offrandes spirituelles faites au jour du Seigneur, pendant l’assemblée des croyants. On n’attend pas passivement la venue du Seigneur, on y participe activement par la prière.

6[…] il est possible que je séjourne ou même que je passe l’hiver chez vous, pour que vous me donniez les moyens de poursuivre ma route. 7Je ne veux pas, cette fois, vous voir seulement en passant, et j’espère rester quelque temps avec vous, si le Seigneur le permet.

La première visite de Paul, suggère le texte, c’était « en passant », sans faire véritablement connaissance. C’est assez peu crédible, si Paul est réellement celui qui a fondé l’église de Corinthe. Paul c’est nous, les Corinthiens c’est le texte lui-même. Dans le passé, nous l’avons lu superficiellement, à la manière des humains ; dans le futur, il sera révélation profonde mais éprouvante, hiver spirituel : les paraboles de l’épître mettent toutes l’accent sur notre violence, notre aveuglement, notre compromission à l’injustice du monde, notre idolâtrie. Cette épreuve est passage nécessaire pour pouvoir poursuivre le voyage spirituel. Jamais nous n’avançons quand nous évitons les crises.

Si Corinthe représente l’épître elle-même, qu’en est-il d’Ephèse ? Un livre qui nous parle jusqu’à la Pentecôte, c’est-à-dire jusqu’à la venue de l’Esprit, de nombreux adversaires et une porte grande ouverte à notre activité spirituelle. Serait-ce l’Evangile ? Timothée, ce compagnon qui voyage toujours de son côté, symbolise les autres religions, sans doute spécifiquement les juifs ; il convient de bien l’accueillir car « il travaille à l’œuvre du Seigneur, comme moi » (v. 10). Quant à celui ou celle qui comme Apollos, « ne veut absolument pas venir maintenant » (v. 12), celui qui rejette la Parole, il faut lui laisser le temps.

Dans le dernier verset, c’est le vrai Paul qui parle :

24Je vous aime tous en Jésus Christ.

Conclusion

Quelle profonde subversion de l’ordre humain que cette épître aux Corinthiens ! Rien de nos lâchetés, de nos mensonges, de nos compromissions et de notre violence ne nous est épargné. Cette révélation ne laisse pas pierre sur pierre de l’édifice bâti sur le mensonge que sont nos vies et nos sociétés. Il faut noter, cependant, que le langage parabolique ne fait rien pour accuser, pour culpabiliser ; il révèle sans juger. C’est l’humain que Paul incarne dans ses paraboles qui accuse et qui fait violence, tout le temps.

Ce langage est conçu pour apparaître seulement quand nous devenons capables de l’entendre. Quelle sollicitude ! Et si cette révélation se contentait de pointer les aspects négatifs, elle ne nous laisserait aucune chance de salut ; mais elle met surtout l’accent sur l’amour. L’amour n’est peut-être pas de ce monde, c’est l’unique transcendance qui traverse le réel, mais nous y avons accès, et nous savons que cet amour peut nous sauver grâce au témoignage de Paul de Tarse, cet homme discret, humble et inspiré, parce qu’il nous dit et il nous prouve que cet amour l’a déjà sauvé, lui.

St Paul, prophète de l’amour (13)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte : https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/15/1

Chapitre 15 :  Ce qu’est la résurrection, et ce qu’elle n’est pas.

"L’aiguillon de la mort,
c’est le péché,
et la puissance du péché,
c’est la loi."

Ce long chapitre ne nous éclaire que très peu sur la réalité de la résurrection ; par contre, il nous désigne clairement les fausses pistes à éviter.

Le chapitre quinze de la première épître aux Corinthiens est assez unanimement reconnu comme un des plus difficiles à interpréter de tout le corpus littéraire paulinien. Le mystère de la résurrection est à la fois la clé de voûte de la foi chrétienne et le concept le plus difficile à défendre, à rationnaliser. La tradition s’est évertuée à chercher dans ces versets des vérités théologiques, tâche quasi impossible étant donné le caractère mystérieux, parfois contradictoire et décousu de ce chapitre.

Fidèles à notre méthode de lecture, nous avons mis les vérités théologiques, les idées reçues et les dogmes entre parenthèses ; nous avons évité de prendre à la lettre les affirmations de Paul. Nous avons prêté une attention particulière aux versets agressifs, violents, aux contresens, à la tonalité du texte, aux tics d’écriture. Inutile de cacher, pourtant, les grandes difficultés que nous avons rencontrées pour donner sens à cette lecture. Est-ce parce que le chapitre fait l’objet d’une attention spéciale de la part de son auteur ? Le codage parabolique est-il particulièrement fort pour nous épargner la vision de quelque chose que nous n’avons pas envie de voir ? Ou bien est-ce dû à la somme de préjugés, de peurs inconscientes que l’idée de résurrection induit dans notre esprit, qui rend une lecture libre particulièrement difficile ? Sans doute un peu des deux. Sur la pertinence de cette dernière question, nous verrons que le texte est assez éclairant.

En procédant de la sorte, une structure se laisse entrevoir. Les seules informations pertinentes sur la résurrection se trouvent au début (v. 1 à 11) et à la fin (v. 51 à 58) du chapitre. Tout le reste décrit dans le langage parabolique les mauvaises raisons d’y croire.

Le début du chapitre se contente de rappeler factuellement le témoignage des apôtres ; il ne nous apprend rien de nouveau. La fin se place résolument dans une perspective apocalyptique, et elle est précieuse pour nous éclairer sur le sens spirituel de la résurrection.

Les paraboles qui dénoncent nos mauvaises approches de la question sont au nombre de quatre. La première erreur, c’est l’approche intellectuelle, raisonnée, logique, qui conduit à l’enfermement dans un piège circulaire. La seconde erreur est celle d’une lecture orgueilleuse et névrotique dans laquelle l’humain, responsable de la mort, sera aussi son vainqueur. La troisième erreur est de considérer la résurrection, selon la logique rétributive, comme récompense d’une vie juste et vertueuse. La quatrième erreur est d’adopter, en s’inspirant du cycle naturel de la vie et de la mort, l’idée d’une séparation radicale entre vie matérielle et vie spirituelle.

L’annonce de ces quatre paraboles se trouve au verset 12 :

12Si l’on proclame que Christ est ressuscité des morts, comment certains d’entre vous disent-ils qu’il n’y a pas de résurrection des morts ?

Ce qui peut se traduire par : voyons comment une fausse idée de la résurrection peut naître d’une mauvaise attitude face à ce mystère.

Première erreur : la preuve par la raison.

Du verset 13 au verset 16, la parabole prend la forme d’une suite logique répétée obstinément. La suite comprend trois éléments, toujours traités dans le même ordre :

  • Nous avons la foi et nous l’exprimons
  • Contenu de cette foi : Christ est ressuscité
  • Conséquence de cette vérité : les morts ressusciteront aussi

Elle est présentée en négatif (ce qui est déjà en soi une indication du doute profond qui sous-tend cette approche rationnelle), ce qui implique dans la formulation une inversion de l’ordre logique :

  • Si les morts ne ressuscitent pas
  • Alors Christ n’est pas ressuscité
  • Alors notre prédication est vide et notre foi aussi

Elle est répétée trois fois, l’ordre étant inchangé. Voyons dans le détail les trois occurrences de la suite logique :

13S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité, 14et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi.

15Il se trouve même que nous sommes de faux témoins de Dieu, car nous avons porté un contre-témoignage en affirmant que Dieu a ressuscité le Christ alors qu’il ne l’a pas ressuscité, s’il est vrai que les morts ne ressuscitent pas.

16Si les morts ne ressuscitent pas, Christ non plus n’est pas ressuscité. 17Et si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est illusoire, vous êtes encore dans vos péchés.

Notons l’astuce grammaticale dans la seconde liste (v. 15), qui inverse l’ordre d’apparition des éléments sans inverser l’ordre logique ; cette astuce tient au remplacement de la forme « si ceci est vrai alors cela est vrai » de la première et de la troisième liste par une forme de type « cela est vrai car ceci est vrai », et en déplaçant le premier « si » vers la fin de la phrase.

La double répétition de la liste indique une pensée circulaire, stérile, qui se referme sur elle-même, et qui finalement aboutit à la perte de sens :

18Dès lors, même ceux qui sont morts en Christ sont perdus.

Et la conclusion de Paul est :

19Si nous avons mis notre espérance en Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes.

Cette conclusion n’est pas une sentence, mais bien la conséquence inéluctable de cette mauvaise approche de la résurrection. Evidemment, cette critique implicite de la justification de la foi chrétienne par la raison résonne fortement avec les considérations sur la folie et le scandale des chapitres 1 et 2.

Deuxième erreur : l’humain possède sa vie.

« Mais non » (v. 20) ; cette exclamation introduit une autre manière de considérer la résurrection. Le verset vingt et un expose d’emblée son défaut :

21En effet, puisque la mort est venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts

La première affirmation est déjà sujette à discussion. Nulle part il n’est écrit qu’Adam est responsable de la mort ; la mort n’est pas une caractéristique spécifique aux humains, c’est une loi fondamentale de l’univers. Ce qui est propre aux humains, et que traduisent si bien les premiers chapitres de la Genèse, c’est la conscience qu’ils ont de leur finitude. Ces mots témoignent d’une confusion entre la conscience du réel et le réel. Est-il écrit quelque part que c’est par Jésus que nous gagnons la vie ? On peut certainement argumenter en ce sens, mais la faille de cette vision de la résurrection, c’est d’en éliminer Dieu et de la centrer sur l’humain, ce qui a pour conséquence de la ramener aux habituels schémas hiérarchiques :

23mais chacun à son rang […]

Et ne permet pas de s’affranchir de la violence, de l’instinct de domination, ni de l’idée que la mort est « l’ennemi », une fatalité oppressante, une catastrophe :

25Car il faut qu’il règne, jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. 26Le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort, 27car il a tout mis sous ses pieds.

Notons que Paul ne dénonce nullement dans ces versets une erreur théologique, il ne remet pas en cause les dogmes, il en montre seulement les limites. La métaphore guerrière n’est pas scandaleuse en soi, le verset fait sens. Encore une fois, c’est plus dans le ton général du passage, dans des mots tels que rang, détruire, ennemis, dans des expressions telles que mettre sous ses pieds, qu’il faut trouver le message, que dans le contenu formel.

Troisième erreur : La résurrection comme rétribution pour une vie juste, vertueuse.

C’est dans la troisième parabole qu’on trouve la fameuse allusion au baptême pour les morts, qui a fait couler tant d’encre. Le paragraphe est particulièrement décousu, les versets quasi impossibles à relier entre eux par un sens global.  Tel verset traduit une atmosphère de peur aux causes indéterminées :

30Et nous-mêmes, pourquoi à tout moment sommes-nous en danger ?

Tel autre parle d’actes posés pour en obtenir récompense :

32A quoi m’aurait servi de combattre contre les bêtes à Ephèse si je m’en tenais à des vues humaines ?

Le seul dénominateur commun de ces versets, c’est qu’ils suggèrent que la résurrection est une récompense pour nos actes. Nos actes bons, ceux qui ont l’assentiment d’un Dieu qui aime juger. Le sous-entendu, c’est que les autres pourraient bien nous voir interdits de résurrection, ou pire encore, condamnés après celle-ci à des tourments éternels… D’où le ton moralisateur et sentencieux du dernier verset :

34Revenez sérieusement à la raison et ne péchez pas ! Car quelques-uns n’ont pas la connaissance de Dieu, je le dis à votre honte.

C’est l’humain qui parle ainsi qui n’a pas cette connaissance.

Quatrième erreur : la séparation radicale entre la vie matérielle et la vie spirituelle

Le paragraphe débute par une question toute matérielle :

35Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps reviennent-ils ?

Elle est suivie par une belle description du cycle de la vie (v. 37 à 41). La vie est profusion et jaillissement, mais cette qualité ne se gagne que par le recyclage de tout à travers la mort. Il n’y a rien à redire à cette vision naturaliste, sinon justement qu’elle est naturelle et non spirituelle. Or elle va servir de base à une pensée qu’implicitement Paul dénonce comme fausse :

42Il en est ainsi pour la résurrection des morts : semé corruptible, on ressuscite incorruptible ; 43semé méprisable, on ressuscite dans la gloire ; semé dans la faiblesse, on ressuscite plein de force ; 44semé corps animal, on ressuscite corps spirituel.

Encore une fois, il y a de bien belles choses dans cet énoncé. Le problème est qu’il réfute à l’avance toute possibilité d’accéder à la pleine conscience, à la vie spirituelle, ici-bas et de notre vivant. Avant la mort, tout est corruption, et tous nos espoirs sont réservés à l’au-delà. Les mots de Paul tranchent sans nuance :

50Voici ce que j’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité.

Le verset cinquante-trois ne se gêne pas pour contredire cette affirmation péremptoire. Les évangiles non plus, qui nous invitent constamment à nous convertir à l’amour ici et maintenant.

Ce verset clôture les quatre paraboles qui pointent vers notre compréhension incomplète ou déviée de la résurrection des morts. Paul semble décidé à se limiter à cette définition en négatif, mais il concède néanmoins un complément d’information :

51Je vais vous faire connaître un mystère. Nous ne mourrons pas tous, mais tous, nous serons transformés.

Et il lie cette transformation à des images de fin des temps. Ce passage du matériel au spirituel conditionne l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe (v. 54) :

Il fera disparaître sur cette montagne
le voile tendu sur tous les peuples,
l’enduit plaqué sur toutes les nations.
Il fera disparaître la mort pour toujours.
Le Seigneur DIEU essuiera les larmes sur tous les visages
et dans tout le pays il enlèvera la honte de son peuple.
Il l’a dit, lui, le SEIGNEUR.
On dira ce jour-là : C’est lui notre Dieu.
Nous avons espéré en lui, et il nous délivre.
C’est le SEIGNEUR en qui nous avons espéré.
Exultons, jubilons, puisqu’il nous sauve. (Isaïe 25, 7-9)

Et Paul termine par cet étonnant verset :

56L’aiguillon de la mort, c’est le péché, et la puissance du péché, c’est la loi.

C’est par ce verset que Paul fait le lien entre ces considérations mystérieuses sur la résurrection, et toutes les réflexions qui précèdent au sujet de la loi des hommes. C’est sur cette loi que reposent toutes les constructions humaines, et elle ne retient – bien imparfaitement - notre violence qu’au prix d’une compromission mortelle avec le péché ; or c’est ce même péché, autrement dit ce déficit d’amour, qui explique notre peur panique de la mort. Paul ne nous donnera pas d’explication définitive sur la résurrection. Nul discours humain ne peut prétendre cerner ce mystère. La résurrection ne se raconte que dans le langage de l’amour, qui est avare de mots. Paul se contente de nous rappeler, en communion avec Isaïe qui dit sensiblement la même chose, que ce langage, nous ne pouvons y accéder qu’à condition de renoncer au mal, que ce mal réside au cœur de toutes les affaires humaines, et qu’il nous est absolument invisible.

Le chapitre termine sur une promesse :

58[…] votre peine n’est pas vaine dans le Seigneur.

 

St Paul, prophète de l’amour (12)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte : https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/14/1

Chapitre 14 : Parler en langues et prophétiser.

"Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais un Dieu de paix."

Dans une démonstration utilitariste, St Paul fait part de sa préférence pour les comportements garants de la bonne tenue des assemblées, de l’ordre et des conventions.

Le lecteur est un peu pris au dépourvu en lisant ce chapitre. Il oppose celui qui « parle en langue » à celui qui « prophétise ». Mais qu’est-ce qui distingue ces deux manières d’exprimer sa foi ? Comment définir ces deux personnages ? La chose deviendra plus claire au fur et à mesure de la lecture. En attendant, Paul nous fait part de sa nette préférence pour la prophétie. On voit pourtant mal ce qu’on pourrait reprocher à ceux qui parlent à Dieu (v. 2). C’est « sous l’inspiration » qu’ils s’expriment dans leur langue mystérieuse. C’est peut-être le moment de noter que Paul lui-même nous a avertis qu’il utilise un langage inaudible pour nous, le langage parabolique qui sature son épître.

Quant à celui qui « prophétise », il parle le langage des humains, il « édifie, il exhorte, il encourage ». Entre les deux, le choix est vite fait et sans appel : « Celui qui prophétise est supérieur à celui qui parle en langues » (v. 5)

Dans la suite, cette préférence est justifiée par l’efficacité relative de la prophétie par rapport aux langues. Toute la démonstration est utilitariste (« si je prie en langues […] mon intelligence ne produit rien » v. 14), et l’utilité c’est de pouvoir communiquer efficacement, mais aussi d’éviter les dissensions consécutives aux incompréhensions et aux malentendus.

L’assemblée auquel Paul se réfère ressemble étrangement à une foule qui exige le conformisme à sa « langue ». Comment avoir l’assentiment de quelqu’un qui ne nous comprend pas ? Ce conformisme est celui des foules de Babel. Tout le monde doit parler le même langage. C’est le nivellement qui précède tout totalitarisme.

22Par conséquent, les langues sont un signe non pour les croyants, mais pour les incrédules ; la prophétie, elle, est un signe, non pour les incrédules, mais pour les croyants. 23Si, par exemple, l’Eglise est tout entière rassemblée et que tous parlent en langues, les simples auditeurs ou les non-croyants qui entreront ne vous croiront-ils pas fous ? 24Si, au contraire, tous prophétisent, le non-croyant ou le simple auditeur qui entre se voit repris par tous, jugé par tous ; 25le secret de son cœur est dévoilé ; il se jettera la face contre terre, il adorera Dieu et il proclamera que Dieu est réellement au milieu de vous.

Les langues sont un signe pour les incrédules, et nous lisons une critique négative ; pourtant les signes que Jésus donne au monde s’adressent évidemment aux incrédules, puisqu’ils ont pour but de les inviter à se convertir. De même, la prophétie (ou ce que Paul nomme comme cela) vise uniquement à convertir des gens qui sont… déjà convertis ! Quant aux témoins extérieurs qui prennent ceux qui parlent en langue pour des fous, on a là une image puissante de la manière dont l’Evangile a été accueilli par les humains au temps de Jésus, et un rappel de la « folie » et du « scandale » du premier chapitre. Mais non, décidément, la bonne manière, c’est que tout le monde parle la même langue, pour que les « étrangers » se conforment à la vérité établie par peur du jugement de la foule. (v. 24)

26Que faire alors, frères ? Quand vous êtes réunis, chacun de vous peut chanter un cantique, apporter un enseignement ou une révélation, parler en langues ou bien interpréter : que tout se fasse pour l’édification commune.

Faites ce que vous voulez, conclut Paul hypocritement, à condition que ce soit conforme, que cela ne dérange pas l’ordre établi. Ce conformisme va prendre dans la suite des formes assez insupportable pour notre modernité en quête de justice et d’égalité.

Il y a ce verset qui nous semble tout naturel :

32Le prophète est maître de l’esprit prophétique qui l’anime.

Alors que tous les prophètes témoignent du contraire : ils ne sont pas maître d’eux-mêmes et encore moins du message qu’ils portent. Comme le dit le Coran :

Muhammad n’est qu’un messager (Coran 3, 144)

Ensuite vient l’irrésistible provocation :

33[…] Comme cela se fait dans toutes les Eglises des saints, 34que les femmes se taisent dans les assemblées : elles n’ont pas la permission de parler ; elles doivent rester soumises, comme dit aussi la Loi. 35Si elles désirent s’instruire sur quelque détail, qu’elles interrogent leur mari à la maison. Il n’est pas convenable qu’une femme parle dans les assemblées.

Ces versets ont incité bien des féministes à rejeter et à condamner Paul, et toute la Bible et la religion dans la foulée, alors qu’elles auraient dû voir dans le Livre leur meilleur allié. St Paul caricature une nouvelle fois l’ordre violent – en l’occurrence patriarcal - et ses préjugés arbitraires. La suite interroge l’autorité de tels décrets soi-disant inspirés :

36La parole de Dieu a-t-elle chez vous son point de départ ? Etes-vous les seuls à l’avoir reçue ? 37Si quelqu’un croit être prophète ou inspiré, qu’il reconnaisse dans ce que je vous écris un commandement du Seigneur. 38Si quelqu’un ne le reconnaît pas, c’est que Dieu ne le connaît pas.

« Dieu ne le connaît pas » ne veut pas dire que le faux prophète est voué à la damnation éternelle, mais comment son interprétation des écritures pourrait-elle être d’une quelconque valeur ? Comment Dieu pourrait-il lui parler, s’il ne le connaît pas ?

Le vrai prophète est tourné vers Dieu. Dans ce texte, contrairement aux apparences, c’est celui ou celle qui parle en langues qui est vrai prophète. Celui ou celle qui prophétise, dans la description qu’en fait Paul, est tout entier tourné vers les autres, sa motivation apparente, l’édification pour le bien d’autrui, est hypocrisie ; en réalité il cherche à plaire. Peu importe au vrai prophète d’être compris, de faire l’objet d’un consensus général et de séduire les foules. Le prophète, c’est un « fou de Dieu » qui crie dans le désert :

« Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : “Aplanissez le chemin du Seigneur”, comme l’a dit le prophète Esaïe. » (Jean 1, 23)

Le prophète – le vrai – sait pertinemment qu’il ne sera pas compris de son vivant et qu’il payera sans doute son témoignage de sa vie. Le prophète parle toujours pour les temps à venir, les temps où les humains seront capables d’entendre son langage. Paul est un prophète. Tous les prédicateurs qui l’ont précédé et qui lui ont succédé, et qui défendaient un langage convenu, légaliste et moralisateur, sont des faux prophètes.

Tout ce chapitre 14 est construit sur un malentendu, c’est-à-dire au sens strict, une parole divine que nous n’entendons pas, parce qu’elle est en contradiction avec le langage des humains, le langage de la compromission à l’ordre violent, le langage unique de Babel. Quand tous les humains parlent d’une seule voix, c’est toujours la voix de la foule, et elle est toujours violente. Le ton péremptoire de Paul est à lui seul la démonstration du vice caché de ce langage, qui ne laisse aucune place à la nouveauté, à la remise en question, au dialogue. Paul utilise lui-même le langage qu’il dénonce, prenant une fois de plus la place du faux prophète pour mieux démonter les mécanismes qui nous font le confondre avec le vrai. C’est une nouveauté du Nouveau Testament que ce détournement de l’image des personnes qui parlent. Tout comme Jean, Luc, Matthieu et Marc n’hésitent pas à faire de Jésus le personnage principal de leurs paraboles violentes, Paul utilise la sainteté associée à son nom, le prestige de sa conversion radicale au Christ, pour mieux nous ouvrir les yeux. On ne saurait, je pense, trouver plus fort symbole de leur humilité et de leur dévotion à la cause à laquelle ils ont voué leur vie.

Nous avons au début de ce chapitre une nouvelle parabole qui retourne le message explicite pour montrer comment les humains désignent pour prophètes des prosélytes opportunistes, qui sauront séduire les foules en leur servant sur un plateau le message qu’elles attendent, celui qui confirme la légalité de leurs vies dissolues et de leurs cultures violentes. Le vrai prophète vient au contraire dénoncer ces artifices humains qui nous cachent l’amour, et sa parole est tellement subversive que nous ne pouvons pas l’entendre. A noter, le petit indice que Paul nous donne lorsqu’il dit parler en langue « plus que vous tous » ; cette vantardise indique simplement que le texte que nous lisons est écrit « en langue », c’est-à-dire, comme le dit Isaïe :

« C’est un langage haché, c’est en langue étrangère, que le Seigneur va parler à ce peuple ». (Isaïe 28, 11)

La clé de ce retournement parabolique se trouve dans le livre d’Isaïe. Quand Paul termine sa harangue par « que tout se fasse convenablement et avec ordre », Isaïe lui oppose « les ivrognes d’Ephraïm » :

De même, prêtres et prophètes sont égarés par le vin, ils titubent sous l’effet de boissons fortes, la boisson les égare, le vin les engloutit […], ils s’égarent dans les visions, ils trébuchent en rendant leurs sentences. (Isaïe 28, 7)

Il y a, pour nous inciter à la conversion du cœur, deux méthodes. Celle que les humains utilisent depuis qu’existent les cultures et les civilisations, c’est le discours moralisateur, édifiant, coercitif et autoritaire. Il présuppose toujours une hiérarchie morale. Le donneur de leçon se pose en supérieur de celui ou celle à qui il en fait bénéficier. Accepter la leçon c’est nécessairement se soumettre. Ce mode est valable pour l’éducation des enfants, mais il n’est pas valable pour des relations entre adultes. Sous des dehors vertueux, il cache sa véritable nature, celle de la rivalité mimétique. Au lieu de rendre conscient, il aliène, il rabaisse tant le maître que son élève. Comme le montre la seconde partie du chapitre huit de l’Evangile de Jean, il participe à la formation des foules violentes. Il incite au conformisme et à l’intégrisme.

La méthode prophétique utilise la parabole, un discours indirect sans contenu moral ou légal ; Le prototype de la parabole, c’est la ruse utilisée par Natan pour révéler à David l’ignominie de ses actes (2 Samuel 12). Natan raconte à David une histoire qui scandalise le roi, et ce faisant il contourne les barrières psychologiques du déni en trompant l’égo. C’est être méprisable ne l’est que parce qu’il n’est pas moi. La violence appartient toujours à l’Autre pour la simple raison qu’il est impossible qu’elle m’appartienne ; c’est là le mensonge ontologique par excellence, tel que dévoilé par René Girard dès son premier livre (Mensonge romantique et vérité romanesque). Natan tend à David une perche irrésistible : accuser l’Autre pour ne pas avoir à contempler sa propre déchéance, sa propre violence. La parabole décentre l’histoire pour que nous puissions d’abord reconnaître la violence objective et ensuite nous y reconnaître.

C’est le dénominateur commun de toutes les paraboles de la Bible et du Coran, reconnues ou cachées. Paul, dans ses épîtres, ne fait pas autre chose. Sous l’apparence d’un discours moralisateur et édifiant, il nous offre un portrait saisissant de l’humanité aveugle et violente. C’est un miroir que nous tend Paul, et nous pouvons nous reconnaître dans l’image qu’il nous renvoie parce que ce portrait n’est pas le nôtre : il nous le présente comme le sien.

Depuis deux mille ans, nous en sommes restés à la lecture littérale, et nous avons élevé St Paul à la dignité de gardien du temple et de la loi. Combien de règles, de dogmes et d’interdits n’avons-nous pas justifiés au nom de ses écrits ! Quelle ironie ! Tous les écrits de St Paul proclament la supériorité de l’Esprit sur la loi. C’est le plus grand pourfendeur de la loi que la terre ait porté :

[…] personne ne sera justifié devant lui par les œuvres de la loi (Romains 3, 20)

[…]  si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus soumis à la loi. (Galates 5, 18)

Et malgré cela, nous en avons fait le modèle à suivre en matière morale et légale, et nous avons façonné l’Eglise sur base de cette lecture inachevée. La parole d’Isaïe prend tout son sens une fois cette réalité révélée.

L’Ancien Testament dissimule la réalité humaine derrière le sacrifice et les phénomènes surnaturels. Le Nouveau Testament utilise un autre sacré, l’idolâtrie des saints. Les paraboles invisibles de Marc, Matthieu, Luc et Jean projettent la violence sur une victime émissaire que les textes nous invitent à sacraliser : Pierre, Jésus, les disciples… dans ce cas, la violence véritable nous reste invisible, contrairement à celle qui nous est présentée comme venant des méchants : les Pharisiens, les scribes, les juifs, les démoniaques. Paul inaugure un autre genre : il se présente lui-même comme l’archétype du prédicateur raide et accusateur, le « Schtroumpf à lunettes » de la chrétienté. En réalité, tous ces passages dans lesquels Paul donne des leçons de conduite aux autres et édicte des règles strictes, arbitraires et non-négociables sont à lire comme des caricatures de l’humain. Paul parle le langage parabolique ultime, celui qui utilise comme nécessaire victime émissaire l’auteur lui-même.

Une fois cet étonnant langage parabolique dévoilé, on ne peut qu’être frappé par ce qu’il dit de son auteur. Il témoigne d’une foi hors du commun et d’une connaissance profonde de l’âme humaine, mais surtout, d’un don total de soi et d’une humilité peu commune. Paul, en écrivant ses épîtres, sait qu’il sera pris pour le plus sec et le plus dogmatique des apôtres, alors que les versets qui nous parlent d’amour nous montrent au contraire un homme sensible, généreux et amoureux, parfaitement respectueux de notre liberté. En parfait disciple de Jésus, Paul s’efface et se présente sous son plus mauvais jour parce qu’il sait que jamais nous n’entendrons son message s’il ne passe par le sacrifice ; c’est la vérité de la Croix. Voilà l’imitation du Christ à laquelle il nous invite ! Le don total et gratuit de soi, pour l’amour des autres. Qui il est vraiment, nous ne pourrons jamais le savoir ; ses soi-disant opinions personnelles n’ont aucune valeur concrète, nous ne saurons rien de sa personne parce qu’il a sacrifié sa personne au message qu’il porte et dont il témoigne. Il le dit lui-même :

[…] moi, c’est par la loi que je suis mort à la loi afin de vivre pour Dieu. Avec le Christ, je suis un crucifié ; je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi. Je ne rends pas inutile la grâce de Dieu ; car si, par la loi, on atteint la justice, c’est donc pour rien que Christ est mort. (Galates 2, 19-21)

Nous ne pouvons plus idolâtrer St Paul parce qu’il ne nous laisse aucune image de lui à adorer : tout est parabole, tout parle de nous. Il ne nous reste plus qu’à lui témoigner notre gratitude et notre amour.

St Paul, prophète de l’amour (11)

Chapitre 12 :   Les membres et le corps.

"A chacun est donnée
la manifestation de l’Esprit
en vue du bien de tous. "

Le chapitre douze est une belle métaphore du Royaume, de la communion dans la diversité, et surtout une belle introduction au sommet spirituel du chapitre treize.

Il n’y a pas grand-chose à redire de la comparaison entre le corps humain et le corps de l’Eglise. Paul réaffirme l’unicité de Dieu mais lui donne un sens plus anthropologique en liant ce concept théologique à la diversité humaine:

13Car nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit.

C’est aussi un appel à l’unité dans la différence :

25afin qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les membres aient un commun souci les uns des autres.

Et une belle métaphore de la communion d’Esprit :

26Si un membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est glorifié, tous les membres partagent sa joie.

La dimension parabolique est presque absente de ce chapitre (il ne faut pas confondre parabole et métaphore !). Notons tout de même le changement de ton au verset douze, avec des tics de langage que nous avons déjà rencontrés. Le ton devient professoral, et la multiplication des exemples rend la démonstration un peu laborieuse (v. 12 à 21). La dérive vers des pensées humaines est subtile et presque invisible. C’est la confusion entre ces différences et les échelles hiérarchiques que les humains ne peuvent s’empêcher d’établir :

28Et ceux que Dieu a disposés dans l’Eglise sont, premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des hommes chargés de l’enseignement ; vient ensuite le don des miracles, puis de guérison, d’assistance, de direction, et le don de parler en langues.

Mais surtout, il manque l’essentiel, le don de l’Esprit qui fait le lien entre cette diversité et l’unicité de Dieu, comme indiqué au dernier verset :

31[…] Et de plus, je vais vous indiquer une voie infiniment supérieure.

Chapitre 13 :   Poème d’amour.

"Maintenant donc ces trois-là demeurent,
la foi, l’espérance et l’amour,
mais l’amour est le plus grand."

Tout le monde connaît le chapitre treize. Tout le monde devrait le connaître par cœur.

St Paul, prophète de l’amour (10)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte : https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/11/1

Chapitre 11 :  St Paul et les femmes.

"Si nous nous examinions
nous-mêmes,
nous ne serions pas jugés"

Pourquoi les féministes devraient utiliser St Paul pour soutenir leurs revendications.

L’épître bascule à nouveau dans la parabole de dénonciation, avec un langage de puritain satisfait de lui-même. L’accent est mis sur les traditions, pour en rappeler certaines dans leur forme la plus rigide. Une hiérarchie sévère est établie (v. 3), et le sujet du voile est traité de façon aussi raide dans le ton qu’absurde dans le raisonnement. Pas de discussion possible : une femme doit être voilée, sinon c’est comme si elle était rasée. Pourtant le voile a pour but de cacher les cheveux, symbole de séduction ! D’ailleurs, au verset suivant, il est demandé aux femmes non-voilées de se faire tondre ! Tout cela pour « prouver » qu’une femme doit être voilée. On reconnaît le langage des gardiens des conventions, qui n’en sont jamais à une approximation près pour les imposer aux autres. Tout cela est bancal, inconsistant, et c’est exactement ce que Paul veut nous montrer. Le dernier verset résume :

10Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête une marque d’autorité, à cause des anges.

A cause des anges, autrement dit, sans raison précise. St Paul ferait-il de l’humour ?

Par contraste, on trouve dans la suite la version spirituelle, et elle prend une tout autre tournure :

11Pourtant, la femme est inséparable de l’homme et l’homme de la femme, devant le Seigneur. 12Car si la femme a été tirée de l’homme, l’homme naît de la femme et tout vient de Dieu.

Toutes ces hiérarchies du pur et de l’impur fondent comme neige au soleil devant la gloire de Dieu et la véritable relation d’amour. Quant à savoir si c’est scandaleux ou pas de montrer ses cheveux, St Paul nous dit :

13Jugez par vous-mêmes […]

Et le dernier verset, comme toujours, met en garde contre la tentation de la sédition, de la révolte et du scandale, trop souvent les corollaires du désir de liberté :

16Et si quelqu’un se plaît à contester, nous n’avons pas cette habitude et les Eglises de Dieu non plus.

St Paul, pour augmenter la force de frappe de ses paraboles, n’hésite pas à aborder les sujets les plus scabreux et polémiques, il nous scandalise souvent par le choix de ses thèmes. C’est qu’il y a réellement un obstacle, une pierre d’achoppement, à dépasser, à franchir, et ce scandale c’est nous et notre violence, bien plus que le texte. Paul traite le mal par le mal. En abordant frontalement, et sur le ton du puritanisme et du sectarisme le plus sec, les tabous de nos sociétés – les interdits, la sexualité – il en montre non pas le caractère scandaleux, mais la façon dont nous en faisons des choses scandaleuses. Il démonte l’hypocrisie et l’absurdité des lois humaines, et c’est en nous invitant à arracher nous-mêmes les chaînes de nos servitudes qu’il nous propose la liberté et l’amour. La mise en garde qui suit est systématique chez Paul : vous n’aurez jamais la liberté sans vous soumettre corps et âme à l’Amour, parce que seul l’amour rend conscient, et seule la conscience rend libre. Il témoigne lui-même de cette liberté dans un cri d’amour à l’idéal féminin, si éloigné des imprécations qui précèdent :

15Tandis que c’est une gloire pour la femme [d’avoir les cheveux longs], car la chevelure lui a été donnée en guise de voile.

Poète et amoureux, St Paul ? Il suffit de sauter deux chapitres plus loin pour s’en convaincre.

St Paul, prophète de l’amour (9)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte : https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/10/1

Chapitre 10 : la fin des sacrifices

"Je vous parle
comme à des personnes
raisonnables ;
jugez vous-mêmes
de ce que je dis"

Les conditions pour se libérer du carcan de la loi.

Des versets un à quatre on a une belle description des sommets spirituels de l’Exode, la naissance du Peuple Elu. Cette introduction « historique » ressemble au début du chapitre quinze, consacré à la résurrection. A partir du verset cinq, Paul bascule dans un langage de malédiction et de rétribution violente.

5Cependant, la plupart d’entre eux ne furent pas agréables à Dieu, puisque leurs cadavres jonchèrent le désert. 6Ces événements sont arrivés pour nous servir d’exemples, afin que nous ne convoitions pas le mal comme eux le convoitèrent. 7Ne devenez pas idolâtres comme certains d’entre eux, ainsi qu’il est écrit : Le peuple s’assit pour manger et pour boire, puis ils se levèrent pour se divertir.

S’en suivent similaires descriptions des malheurs qui frappent les débauchés, ceux qui tentent le Seigneur, et les propagateurs de ragots. St Paul insiste sur les raisons de ces punitions divines :

11Ces événements leur arrivaient pour servir d’exemple et furent mis par écrit pour nous instruire, nous qui touchons à la fin des temps.

Il y a deux enseignements distincts : « servir d’exemple » fait allusion à la logique de peur qui prévaut sous la loi, le châtiment des injustes étant justifié par la crainte qu’il inspire aux candidats à la transgression. C’est le langage des partisans d’une justice exclusivement dissuasive. La mise par écrit fait allusion aux Ecritures et à leur dimension spirituelle, cachée jusqu’à la fin des temps, or celle-ci n’a pas encore eu lieu, l’humain est encore aveugle :

12Ainsi donc, que celui qui pense être debout prenne garde de tomber.

Puis vient une réflexion sur la tentation, dont Paul souligne l’aspect positif ; d’une part, elle reste modérée par la loi, d’autre part elle participe à la montée de la conscience qui justement permet de relâcher la loi et de résister.

13Les tentations auxquelles vous avez été exposés ont été à la mesure de l’homme, Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter.

C’est l’idée très paulinienne que la transgression de la loi est une étape nécessaire sur le chemin de la conscience. On notera le contraste entre cette indulgence de Paul face au péché et le ton sentencieux des versets qui précèdent.

Paul revient ensuite sur l’idolâtrie, mais abordée avec un tout autre paradigme : la conscience comme seul juge de nos actions.

14C’est pourquoi, mes bien-aimés, fuyez l’idolâtrie. 15Je vous parle comme à des personnes raisonnables ; jugez vous-mêmes de ce que je dis.

Et cette conscience, Paul rejoint là-dessus l’évangéliste Jean, elle se trouve dans la communion dans l’Amour.

17Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps […]

Le lien est fait avec l’ancienne manière de voir. Les sacrifices sanglants s’adressaient à une fausse image de Dieu :

20[…] leurs sacrifices sont offerts aux démons et non pas à Dieu, je ne veux pas que vous entriez en communion avec les démons.

Alors que l’Eucharistie vise la communion avec le vrai Dieu, seule capable de nous rendre conscients, maîtres de nos destins. C’est donc une critique radicale, non pas de l’Ancienne Alliance, mais de toute religion sacrificielle, et le choix à faire entre sacrifice de l’Autre et don de soi est radical :

21Vous ne pouvez boire à la fois à la coupe du Seigneur et à la coupe des démons ; vous ne pouvez participer à la fois à la table du Seigneur et à celle des démons.

La charge est impitoyable, et quand on daigne se souvenir que St Paul n’attaque pas ainsi de vieux rites disparus depuis longtemps, mais bien toutes nos compromissions avec l’ordre violent des humains et toutes nos idoles, y compris celles qui se réclament d’un monde sécularisé et désacralisé, on comprend mieux la prudence de l’écriture, la dissimulation parabolique.

Paul reprend ensuite la proclamation de notre liberté du chapitre six :

23« Tout est permis », mais tout ne convient pas. « Tout est permis », mais tout n’édifie pas.

Et l’allusion précédente à la communion et au don gratuit est explicitée :

24Que nul ne cherche son propre intérêt, mais celui d’autrui.

Et ce profond respect pour l’Autre remplace les interdits sacrés, à présent inutiles :

25Tout ce qu’on vend au marché, mangez-le sans poser de question par motif de conscience ; 26car la terre et tout ce qu’elle contient sont au Seigneur.

Cependant, cette liberté n’est pas absolue, elle est soumise à l’amour. Le verset vingt-huit n’invite pas à se conformer sous la pression d’autrui, mais bien à éviter que celui ou celle qui croit encore plaire au Seigneur en se conformant aveuglément à des règles sans fondement objectif ne soit blessé :

28Mais si quelqu’un vous dit : « C’est de la viande sacrifiée », n’en mangez pas, à cause de celui qui vous a avertis et par motif de conscience ;

Ce sont vraiment deux versets lumineux que celui-ci et le suivant :

29je parle ici, non de votre conscience, mais de la sienne. Car pourquoi ma liberté serait-elle jugée par une autre conscience ?

N’agissons plus par mauvaise conscience, par peur du regard de l’Autre et de la punition divine ; agissons par respect de l’Autre, de ses croyances et de ses valeurs. Bien plus que de morale, Paul nous parle d’un changement de regard. La richesse de ce verset tient à sa concision. Les trois étapes du processus de libération spirituelle peuvent chacune être reliée au regard. Dans l’esclavage, l’humain n’a aucune intériorité, la réalité est extérieure à lui et le regard sur cette réalité est entièrement subjectif ; alors l’Autre n’est qu’un objet du monde, hostile et dangereux, et la réponse à ce regard, c’est la violence. A l’étape de la rébellion, le moi apparaît, mais il est isolé, détaché de l’Autre ; la violence change de nature, mais la relation reste violente. La troisième étape est fondamentalement introspection, prise de conscience du monde tel qu’il existe en moi, et c’est dans ce moi élargi au monde que je peux porter sur l’Autre, cet autre moi, un regard empathique et bienveillant.

32Ne soyez pour personne une occasion de chute, ni pour les Juifs, ni pour les Grecs, ni pour l’Eglise de Dieu. 33C’est ainsi que moi-même je m’efforce de plaire à tous en toutes choses, en ne cherchant pas mon avantage personnel, mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés.

St Paul, dans ces versets magnifiques, unit d’un lien indéfectible la liberté individuelle au souci de l’Autre. Et cette fois-ci, quand il invite à imiter le Christ en l’imitant lui, il est parfaitement honnête.

St Paul, prophète de l’amour (8)

Chapitre 8 :    Sur les carnivores et les végétariens.

"La connaissance enfle,
mais l’amour édifie."

Se libérer des conventions arbitraires, mais sans scandaliser l’Autre.

Paul traite son sujet– la consommation de viandes sacrifiées – de façon décalée. Les trois premiers versets opposent la tendance humaine à avoir des avis définitifs sur tout à la voie de l’amour. Les suivants reprennent le même schéma – le sujet de la viande, qui n’est aucunement traité, suivi de considérations sur les idoles et sur Dieu. Cette répétition n’a d’autre but que de montrer le lien entre notre prétention à la connaissance et notre idolâtrie, d’une part, et d’autre part l’amour et la foi en un Dieu unique. Cette petite parabole double avertit le lecteur que les considérations qui suivent ne sont pas à prendre à la lettre, mais bien à interpréter à la lumière de cette différence de points de vue.

Dans la suite, la voix trop humaine que Paul incarne fait usage de cette « connaissance » pour accuser l’Autre de comportement idolâtre. C’est l’orgueil de celui qui croit détenir la vérité qui l’autorise à voir chez les autres ce qu’il est incapable de voir en lui-même :

7[…] leur conscience, qui est faible, en est souillée.

Au verset huit, Paul remet les choses à leur place :

8Ce n’est pas un aliment qui nous rapprochera de Dieu : si nous n’en mangeons pas, nous ne prendrons pas de retard ; si nous en mangeons, nous ne serons pas plus avancés.

Mais aussitôt, il nous avertit :

9Mais prenez garde que cette liberté même, qui est la vôtre, ne devienne une occasion de chute pour les faibles. 10Car si l’on te voit, toi qui as la connaissance, attablé dans un temple d’idole, ce spectacle édifiant ne poussera-t-il pas celui dont la conscience est faible à manger des viandes sacrifiées ? 11Et, grâce à ta connaissance, le faible périt, ce frère pour lequel Christ est mort.

On retrouve dans ces versets la même réflexion que dans la parabole du chapitre précédent, des versets dix-sept à vingt-quatre. La liberté que confère l’Esprit nous autorise tous les actes interdits ; mais si ces actes conduisent à scandaliser ou à blesser ceux qui n’ont pas encore acquis cette liberté, alors celle-ci n’a pas de valeur dans l’ordre de l’amour. Tout est permis, mais tout ne convient pas. La liberté à laquelle aspirent les humains est illusoire. La liberté n’est pas un absolu ; elle est asservie à la relation, à l’amour.

Chapitre 9 :     Orgueil et névrose du prophète.

Dans ce surprenant chapitre, aux accents freudiens, Paul va nous faire ressentir les sentiments contradictoires qui peuvent animer un humain.

Le sujet, l’apostolat de Paul et de ses camarades, est l’excuse de la parabole. En réalité, elle va nous montrer ce qui lie des comportements humains en apparence sans relation entre eux. En faisant abstraction de son métier de prophète, on peut traduire l’état psychique du narrateur en termes profanes :

  • Avec tout ce que j’ai fait pour vous… (vanité) (v. 1-2)
  • et bien que beaucoup soient des ingrats, qui ne me prennent pas au sérieux… (paranoïa) (v. 3)
  • j’estime avoir droit à certaines compensations… (logique de rétribution) (v. 4-11)
  • mais je suis tellement peu sûr de moi que je me sens obligé de le justifier par de nombreux arguments… (doute profond) (v. 4-11)
  • et pour bien prouver à quel point je suis parfait… (narcissisme)
  • je vais m’abstenir de faire valoir mes droits, pourtant évidents… (orgueil, fausse modestie) (v. 12, 15)
  • parce que cette mission m’est imposée à mon corps défendant… (névrose) (v. 14, 17)
  • et si je ne la remplis pas je serai sévèrement puni… (peur primordiale, vision pervertie de Dieu) (v. 16)
  • Il me faut donc prouver ma valeur en étant efficace… (confusion entre être et faire) (v. 19-22)
  • et pour cela tous les moyens me sont permis… (la fin justifie les moyens) (v. 19-22)
  • y compris la ruse et la tromperie… (hypocrisie) (v. 20-22)
  • pour finalement recevoir ma juste récompense. (démarche intéressée) (v. 23)

Comme on le voit, le tableau est assez complet. Il est assez éloigné, faut-il le dire, du message que porte Paul, pas si éloigné que cela de nos névroses ordinaires.

Les quatre derniers versets font l’apologie de la compétition féroce, de la rivalité violente ; le dernier est un sommet de dévoiement du message évangélique, motivé par la peur.

27Mais je traite durement mon corps et le tiens assujetti, de peur qu’après avoir proclamé le message aux autres, je ne sois moi-même éliminé.

En réalité, Paul vit son apostolat dans un état d’esprit inversé en tout par rapport à ce que suggère le chapitre. Il reçoit la révélation dans une crise, mais celle-ci dépassée, il accepte sa mission en toute liberté, dans la gratitude et dans la joie. Il ne demande rien en retour de son témoignage. Il est reconnaissant des plaisirs de la vie, qu’il accueille en rendant grâce ; il ne cherche à sauver personne parce qu’il comprend que la liberté qu’il a gagnée, il doit la respecter chez les autres. Sa démarche est humble parce que la conscience acquise lui fait voir ses faiblesses autant que ses forces ; il accepte les unes comme les autres. Il ne cherche pas l’efficacité, mais la vérité.

St Paul, prophète de l’amour (7)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte : https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/7/1

Chapitre 7 :     Sur le célibat, la sexualité.

"Voici ce que je dis, frères :
le temps est écourté."

Le corset qui bride notre sexualité n’est pas voulu par Paul, mais bien par la société, qui privilégie toujours l’ordre et la stabilité par rapport à la relation amoureuse.

Le début du chapitre est un exemple de texte au ton péremptoire et moralisateur, de ceux qui ont forgé la doctrine chrétienne en matière de sexualité. Or ce passage se lit très bien comme une parabole ayant pour sujet les névroses et les peurs des humains.

1Venons-en à ce que vous m’avez écrit. Il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme. 2Toutefois, pour éviter tout dérèglement, que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari.

Ce ne sont ni le célibat, ni l’abstinence, ni la virginité, ni le mariage qui sont mis en cause ici, ce sont les raisons invoquées pour choisir l’un ou l’autre de ces modes de vie. Pour Saint Paul, tout tient dans l’esprit et non dans la lettre. Partant de la position du puritain, Paul montre comment on dévoie une belle idée (se consacrer entièrement au Seigneur) en la noyant sous des soucis matériels, ou en la pervertissant à cause de la peur que nous inspirent les « dérèglements ». Toujours, semble-t-il, les idées les plus hautes finissent par redescendre au niveau humain.

Saint Paul a la réputation d’un puritain dogmatique à cause de tels passages. La forme parabolique enlève toute pertinence à ce portrait. Qu’est-ce qui nous permet de prétendre que cette forme est présente, et voulue par Paul ? Dès le premier verset, la règle est énoncée sans nuance, et elle est bien choquante. Le mariage est considéré comme bon dans à peu près toutes les cultures, y compris hellènes et juives. On a voulu voir dans ces mots une rupture du christianisme par rapport à ces courants religieux et culturels. Ne seraient-ils qu’une provocation ? Comment justifier, sinon, la raison invoquée pour cette révolution sociologique, « éviter tout dérèglements », si éloignée des préoccupations spirituelles de Paul ? Dans l’esprit d’une lecture libre, nous reconnaissons un autre paradigme que celui qui semble soutenir le passage. Ce n’est pas des mœurs humaines que Paul parle ici, mais des sentiments qui façonnent ces mœurs, en l’occurrence la peur du désordre. Dans toutes les cultures, le mariage est reconnu comme l’institution stabilisatrice par excellence, or les évangiles cherchent, non pas à décrédibiliser le mariage, mais à l’élever au rang spirituel, à le fonder sur l’amour. Ce que Paul décrit ici, c’est le mouvement exactement contraire.

3Que le mari remplisse ses devoirs envers sa femme, et que la femme fasse de même envers son mari. 4Ce n’est pas la femme qui dispose de son corps, c’est son mari. De même ce n’est pas le mari qui dispose de son corps, c’est sa femme. 5Ne vous refusez pas l’un à l’autre, sauf d’un commun accord et temporairement, afin de vous consacrer à la prière ; puis retournez ensemble, de peur que votre incapacité à vous maîtriser ne donne à Satan l’occasion de vous tenter.

C’est par devoir qu’on fait l’amour ; personne ne dispose de son propre corps ; seules des activités nobles peuvent justifier qu’on se refuse à l’autre, et non des sentiments personnels ou une crise dans le couple ; et finalement, la peur des débordements de la passion conditionne une sexualité culpabilisante, comme concédée à regret. En matière sexuelle, tout est contrainte, tout est névrose. Ce que Paul décrit là c’est la réalité sociologique des civilisations humaines. Sous tous les cieux, la force de cohésion sociale du mariage prime sur l’amour et induit ce genre de comportements. Toujours, l’ordre violent des humains s’oppose à la venue de l’Esprit.

Plongeons plus profondément dans le verset quatre et mesurons l’intelligence du langage parabolique de Paul. Le verset commence par un discours caricatural de l’ordre patriarcal : « Le mari dispose du corps de sa femme ». Passé un certain seuil de conscience collective, cet ordre s’effondre sous son propre poids, sapé par le souci d’égalité et de justice qu’éveillent en nous les Evangiles. La parole de Paul devient alors scandaleuse, intolérable. Aussitôt elle mute pour devenir une ode à l’égalité : « De même ce n’est pas le mari qui dispose de son corps, c’est sa femme ». Les progressistes jubilent, mais ce que ni eux ni les traditionnalistes ne voient, c’est que dans l’ordre de l’amour personne ne dispose du corps d’autrui. Dans l’ordre du soumis, on ne lit que ce qu’on veut lire et la seconde partie du verset, anecdotique et sans intérêt, est gommée. Dans l’ordre du rebelle, on ne voit que la seconde partie, qui confirme si bien les idéaux progressistes.

Dans l’ordre de l’Esprit, on reconnaît à la fois la critique implicite de nos disputes idéologiques et notre tendance mimétique à posséder l’Autre, et cette prise de conscience permet d’énoncer une des vérités de cet ordre : chacun est responsable de son corps et de son esprit.

On voit mieux ici ce que nous entendons par basculement ; il ne s’agit en aucun cas d’inverser les pôles du bien et du mal, mais plutôt de changer de paradigme, de changer d’axe. Toujours, dans l’ordre humain, l’axe mal/bien est orienté entre ce qui peut nuire à la cohésion sociale et ce qui y participe. Dans l’ordre de l’amour, tout se joue entre la relation rivalitaire, hostile, et la relation bienveillante, empathique. L’axe privilégié de l’Evangile existe bien sûr dans toutes les cultures, mais il est systématiquement asservi à la dimension sociale. Aucun acte, aussi vertueux soit-il, ne sera toléré dans l’ordre humain, qui remette en cause sa prééminence.

Or c’est la confusion entre ces deux paradigmes de la morale qui caractérise l’esprit humain. Nous sommes bien incapables de repérer dans laquelle des deux dimensions nous jugeons l’Autre. Le passage exprime bien cette confusion, notamment lorsque Paul attribue à Dieu l’interdit sec et indiscutable du divorce :

10A ceux qui sont mariés j’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur : que la femme ne se sépare pas de son mari.

Et aux hommes une réflexion bien plus tolérante et profonde sur l’union amoureuse :

12Aux autres je dis, c’est moi qui parle et non le Seigneur : […]

Paul ne nous parle pas ici des règles de cohabitation avec un conjoint qui n’a pas embrassé la foi chrétienne. C’est de la foi en la relation, de la prééminence de l’amour dans la formation du couple, qu’il est question.

15Si le non-croyant veut se séparer, qu’il le fasse ! Le frère ou la sœur ne sont pas liés dans ce cas : c’est pour vivre en paix que Dieu vous a appelés.

Le non-croyant ne peut pas décider en liberté, en Esprit ; il ne peut pas privilégier l’amour parce qu’il favorise toujours les autres aspects. Il vaut mieux dès lors accepter la séparation plutôt que de fonder le couple sur de mauvaises bases. La chute contredit l’affirmation du verset quatre. Dans l’ordre de l’amour, chacun est libre et responsable de ses actes, de sa personne et de son corps.

16 […] sais-tu, femme, si tu sauveras ton mari ? Sais-tu, mari, si tu sauveras ta femme ?

C’est encore d’ordre social qu’il est question dans les versets dix-sept à vingt-quatre. La forme parabolique est différente de ce que nous avons vu jusqu’ici. Elle s’appuie sur la structure quinaire du passage.

17Par ailleurs, que chacun vive selon la condition que le Seigneur lui a donnée en partage, et dans laquelle il se trouvait quand Dieu l’a appelé. C’est ce que je prescris dans toutes les Eglises. 

18L’un était-il circoncis lorsqu’il a été appelé ? Qu’il ne dissimule pas sa circoncision. L’autre était-il incirconcis ? Qu’il ne se fasse pas circoncire. 19La circoncision n’est rien, et l’incirconcision n’est rien : le tout c’est d’observer les commandements de Dieu.

20Que chacun demeure dans la condition où il se trouvait quand il a été appelé. 21Etais-tu esclave quand tu as été appelé ? Ne t’en soucie pas ; au contraire, alors même que tu pourrais te libérer, mets plutôt à profit ta condition d’esclave. 22Car l’esclave qui a été appelé dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur. De même, celui qui a été appelé étant libre est un esclave du Christ.

23Quelqu’un a payé le prix de votre rachat : ne devenez pas esclaves des hommes.

24Que chacun, frères, demeure devant Dieu dans la condition où il se trouvait quand il a été appelé.

Cette structure n’est pas facile à repérer. La seule manière d’y arriver est d’évaluer la valeur spirituelle de chaque verset. Le premier (v. 17) et le dernier verset (v. 24) expriment le conformisme social, la croyance antique que chaque humain se trouve dans la condition où il doit se trouver, à sa juste place dans l’ordre inamovible du cosmos. N’oublions pas à quel point l’Evangile atomise cette vision du monde… Le second niveau (v. 18, 19, 23) libère l’humain de ce carcan mais au risque de la sédition, de l’effondrement catastrophique de la société ; c’est un appel à l’anarchie. Le troisième niveau (v. 20, 21, 22) réaffirme donc le premier, mais dans un esprit radicalement autre. La liberté à laquelle Christ nous appelle ne peut en aucun cas s’obtenir au détriment de la relation à l’Autre, ni détruire l’ordre social. C’est une liberté intérieure, spirituelle, à opposer à la liberté du rebelle, source de violence.

Ce schéma en trois temps, esclavage – rébellion – liberté spirituelle, revient constamment dans les méditations de Paul sur la liberté.

[Il] n’y a qu’un seul Dieu qui va justifier les circoncis par la foi et les incirconcis par la foi. Enlevons-nous par la foi toute valeur à la loi ? Bien au contraire, nous confirmons la loi ! (Romains 3, 30-31)

Dans le troisième tableau de ce long chapitre, Paul revient à son langage puritain mais cette fois-ci il nous aide, il indique clairement que le texte est à lire dans l’ordre humain :

25Au sujet des vierges, je n’ai pas d’ordre du Seigneur : c’est un avis que je donne, celui d’un homme […]

L’homme en question justifie l’abstinence sexuelle non pour de hautes raisons spirituelles, mais…

26[…] à cause des angoisses présentes […]

On entend fréquemment ce prétexte, de nos jours, pour ne pas faire d’enfants… La suite nous ressemble. Ces préceptes étant impossibles à tenir, on fait immédiatement des concessions :

28Si cependant tu te maries, tu ne pèches pas ; et si une vierge se marie, elle ne pèche pas. […]

Et la motivation de tout cela, c’est de nous épargner des épreuves parfois douloureuses :

[…] Mais les gens mariés auront de lourdes épreuves à supporter, et moi, je voudrais vous les épargner.

Alors que les Evangiles, et la croix en particulier, nous disent avec insistance que c’est en les traversant que nous pourrons progresser vers Dieu.

Au verset vingt-neuf, on bascule à nouveau dans l’ordre du divin, souligné par une allusion apocalyptique.

29[…] le temps est écourté. Désormais, que ceux qui […] tirent profit de ce monde [soient] comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car la figure de ce monde passe.

Mais cet intermède est de courte durée. Les soucis du monde reviennent aussitôt. Dans les versets trente-deux à trente-quatre, le discours favorise apparemment le célibataire qui se consacre entièrement au Seigneur. Pourtant, le « souci des affaires du monde » ressemble étrangement au « souci de Dieu ». La relation à Dieu ne semble pas bénéficier tant que cela du célibat, puisqu’elle est toujours soucieuse. Autrement dit, la ruse parabolique invite à constater que la question du mariage ou du célibat importe moins que la recherche de la juste relation à Dieu. Le verset trente-cinq est cohérent avec cette lecture :

35Je vous dis cela dans votre propre intérêt, non pour vous tendre un piège, mais pour que vous fassiez ce qui convient le mieux et que vous soyez attachés au Seigneur, sans partage.

On trouve un exemple, dans la suite, de l’ambiguïté qui caractérise parfois le langage parabolique de Paul. Le passage commence par une apologie des relations sexuelles hors-mariage :

36Si quelqu’un, débordant d’ardeur, pense qu’il ne pourra pas respecter sa fiancée et que les choses doivent suivre leur cours, qu’il fasse selon son idée. Il ne pèche pas : qu’ils se marient.

Continue par son exact contraire :

37Mais celui qui a pris dans son cœur une ferme résolution, hors de toute contrainte et qui, en pleine possession de sa volonté, a pris en son for intérieur la décision de respecter sa fiancée, celui-là fera bien.

Et termine par une maxime que ne renieraient pas les plus farouches partisans du relativisme :

38Ainsi celui qui épouse sa fiancée fait bien, et celui qui ne l’épouse pas fera encore mieux.

Mais c’est sans compter le contraste entre l’homme « débordant d’ardeur » et « celui qui a pris dans son cœur une ferme résolution, hors de toute contrainte ». En faisant abstraction de la morale apparente, nous avons là encore une description des actes commis dans l’inconscience et dans la pleine conscience. Ce passage semble inspiré par la réflexion de Jésus :

« Ce serviteur qui connaissait la volonté de son maître et qui pourtant n’a rien préparé ni fait selon cette volonté recevra bien des coups ; celui qui ne la connaissait pas et qui a fait de quoi mériter des coups en recevra peu. A qui l’on a beaucoup donné, on redemandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. (Luc 12, 47-48)

Les « conseils » des deux derniers versets du chapitre sont du même ordre, « à mon avis » (v. 40).

St Paul, prophète de l’amour (6)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte : https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/6/1

Chapitre 6 :    des procès entre nous.

"Tout m’est permis,
mais moi je ne me laisserai
asservir par rien"

Sur les procès que nous nous faisons les uns aux autres, et l’utilisation des écritures pour justifier notre droit à faire violence.

Dans le chapitre six, Paul s’attaque à notre tendance à tout juger (v. 1 à 11). L’efficacité de la justice humaine dépend d’une condition, celle de désigner au sein de la collectivité des individus « purs et saints », des juges considérés comme incorruptibles et impartiaux. Le magnifique édifice de la justice des hommes repose pourtant entièrement sur une fausse idée, à savoir notre capacité à rendre une justice juste.

2Ne savez-vous donc pas que les saints jugeront le monde ?

demande Paul, et même si c’est vrai, cette question entraîne la suivante :

5[…] Ainsi, il ne se trouve parmi vous aucun homme assez sage pour pouvoir juger entre ses frères ?

Dont la réponse, nous le savons bien, est non. L’orgueil est également au travail, lorsque nous prétendons avoir le droit de juger jusqu’aux anges :

3Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ?

Affirmation qu’il est permis de trouver absurde. Par contre, c’est la vérité qui transparaît dans les versets sept et huit, pour peu que nous soyons capables de l’entendre :

7De toute façon, c’est déjà pour vous une déchéance d’avoir des procès entre vous. Pourquoi ne préférez-vous pas subir une injustice ? Pourquoi ne vous laissez-vous pas plutôt dépouiller ? 8Mais c’est vous qui commettez l’injustice et qui dépouillez les autres ; et ce sont vos frères !

Nous pouvons ajouter un autre critère dans notre boîte à outil d’aide au discernement. Lorsqu’on rencontre dans le texte des versets du genre :

5Je le dis à votre honte

On peut être sûr que Paul a revêtu les habits de l’humain violent. Plus loin, aux versets neuf et dix, il nous livre une longue liste de noms d’oiseaux, pour préciser ensuite :

11Voilà ce que vous étiez, du moins quelques-uns.

Pour repérer l’instant où le discours se retourne, le basculement vers une parole spirituelle, des mots tels que mais sont précieux :

11[…]Mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom du Seigneur Jésus Christ et par l’Esprit de notre Dieu.

Sans transition, Paul passe à son thème favori, la liberté. A priori, il n’y a rien à redire au premier verset de ce passage :

12« Tout m’est permis », mais tout ne convient pas. « Tout m’est permis », mais moi je ne me laisserai asservir par rien.

Ni au dernier :

20Quelqu’un a payé le prix de votre rachat. Glorifiez donc Dieu par votre corps.

Mais comment articuler ces maximes avec les considérations sur le corps qui les séparent ? La difficulté croît jusqu’à la comparaison surprenante avec le corps de la prostituée, et le dévoiement de la citation de l’Evangile :

16Ne savez-vous pas que celui qui s’unit à la prostituée fait avec elle un seul corps ? Car il est dit : Les deux ne seront qu’une seule chair.

La descente du spirituel vers le charnel est progressive, elle a lieu par étape. Elle commence par la perversion de l’idée de résurrection, qui nous donne l’impression que notre corps est immortel. La suite est une argumentation très faible. Comment passer des corps, membres du Christ, à l’union charnelle avec une prostituée ? Seuls les mots lient ces phrases, pas les idées : membre du Christ – membre de prostituée – union avec une prostituée – une seule chair, tout cela n’a pas beaucoup de sens. Ce qui est en procès ici, c’est notre tendance à faire un lien formel entre les versets de la Bible sur base de relations qui n’en sont pas. Le but de cet exercice est de donner des fondations solides à l’ordre violent des hommes, de justifier tout et n’importe quoi. En réalité, nous dit Paul, c’est en esprit que nous sommes unis au Christ ; autrement dit, la lecture spirituelle interdit implicitement d’utiliser les versets de la Bible pour le genre de démonstration spécieuse qui est exposé ici. A partir du verset dix-sept, les choses redeviennent cohérentes.

19Ou bien ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint Esprit qui est en vous et qui vous vient de Dieu, et que vous ne vous appartenez pas ?

Nous cherchons toujours le sens profond des versets, chez Paul comme dans les autres livres de la Bible, or le langage parabolique, en décrivant le monde à partir de notre point de vue d’aveugles, expose souvent l’absence de sens, l’absurdité du raisonnement et sa motivation malhonnête.

St Paul, prophète de l’amour (5)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte :

https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/5/1

Chapitre 5 : Un scandale.

"Ceux du dehors, Dieu les jugera.
 Otez le méchant du milieu de vous."

Le chapitre cinq introduit la première parabole. Celle-ci a pour sujet un scandale dans la communauté.

Après le discours sur la méthode, Paul passe à la pratique. Première parabole : un scandale qui secoue la communauté.

1On entend dire partout qu’il y a chez vous un cas d’inconduite, et d’inconduite telle qu’on ne la trouve même pas chez les païens : l’un de vous vit avec la femme de son père.

Les premiers mots du premier verset suggèrent d’emblée une atmosphère de médisance et de ragots : « On entend dire partout… ». S’en suit, comme il se doit dans tout bon scandale, l’accusation. Attardons-nous un moment sur celle-ci.

Toujours un scandale dévoile quelque chose de honteux, viole un tabou. Un tabou est un interdit dont il est interdit de parler. Le scandale doit donc contourner ce paradoxe, et il ne le fait jamais par dénonciation franche et explicite de la transgression de l’interdit, mais en la suggérant, en adoptant un langage hypocrite, sinon l’accusation risquerait de devenir plus scandaleuse encore que les actes qu’elle cherche à mettre au jour. En lisant le réquisitoire de Paul, tout le monde comprend qu’il s’agit de relation sexuelle illicite. De quoi pourrait-il s’agir d’autre ? Cependant, cela n’est pas dit explicitement. De même, le lien de parenté entre l’accusé et sa complice n’est pas clair. On déduit de la formule utilisée qu’il s’agit de la belle-mère de l’homme, mais ce n’est pas précisé. Il pourrait tout aussi bien s’agir de sa mère.

Pour pouvoir juger en conscience il faut connaître les faits, or St Paul nous présente un dossier à charge d’une maigreur et d’une ambigüité évidentes. Par contre, quand il s’agit d’informations non-factuelles destinées à étayer l’acte d’accusation, la parole se libère. Le scandale aurait peut-être une chance de s’éteindre tout seul s’il n’était précisé que même chez les païens, on n’agit pas ainsi. Comparaison parfaitement gratuite et sans substance, seulement destinée à charger un peu plus l’accusé.

Au premier verset, nous avons déjà un exemple frappant de l’ambiguïté du message de Paul. Il nous dit qu’il va nous parler dans le langage spirituel, mais il adopte d’emblée le comportement, le ton et le langage de l’accusateur, celui qui initie le scandale. Incroyablement, nous plongeons dans celui-ci sans nous poser une seconde la question de l’intention de St Paul à agir de la sorte.

Les actes qui suivent sont typiques des humains : « absent de corps mais présent d’esprit », j’ai jugé sans me préoccuper des faits. Parce qu’une situation m’est présentée comme scandaleuse, je plonge dans le scandale. La conséquence inéluctable, c’est la condamnation unanime et le meurtre du bouc émissaire, dans le but de préserver « l’esprit », de toute évidence pas saint ici. La précision sur l’absence du corps et la présence de l’esprit est redoutablement subtile. Elle dit que ce n’est pas Paul qui parle, mais nous ! C’est nous, les lecteurs, qui parlons, absolument incapables de juger objectivement sur base de ce qui nous est présenté, parce que cela a eu lieu – tant est que cela ait eu lieu – il y a deux mille ans, que par conséquent nous ne connaitrons jamais la vérité, et que l’accusation est d’une ambiguïté évidente. Malgré cela, nous plongeons tête baissée dans le piège parabolique, nous nous identifions aux accusateurs, et si cette scène prenait chair tout à coup devant moi, je me demande si je ne ferais pas partie des bourreaux. Voilà précisément la révélation, et d’ordinaire elle nous est absolument inaccessible. La seule manière de nous ouvrir les yeux sur la réalité de notre violence, c’est la ruse parabolique. Le fait que pendant deux mille ans nous ayons trouvé toutes les justifications possibles à cet appel de Paul à une justice inique et violente montre à quel point il a raison de dénoncer notre immaturité spirituelle et notre aveuglement. Alors il nous sert du lait : une histoire édifiante dans laquelle le coupable tout trouvé se voit retranché de la communauté pour la plus grande paix de celle-ci, et pour la gloire des hommes.

Paul insiste sur cette glorification de la violence du monde : « Et vous êtes enflés d’orgueil ! », « Il n’est pas beau, votre sujet de fierté ! ». Notons que ces deux exclamations sortent de la parabole, elles sont à prendre à la lettre. C’est là toute la difficulté de l’exercice de lecture. Comment distinguer ce qui est dénonciation directe et indirecte ? Comment discerner le Paul métaphorique, prototype de l’humain violent, et l’apôtre inspiré par l’Esprit ? A la logique, à la sagesse humaine, cet exploit est interdit. Il est réservé au cœur. Nous reconnaître dans ces paroles étranges, toute honte bue, tout orgueil vaincu, voilà la règle de lecture.

Le levain, au verset six, c’est ce qui fait gonfler la pâte de la violence collective, c’est l’unanimité sacrificielle. La Passion du Christ, en rendant explicite cette violence collective, nous invite à nous passer de ce « vieux levain » de « méchanceté et perversité » et à nous retrouver dans une communion joyeuse :

7Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes sans levain. Car le Christ, notre Pâque, a été immolé. 8Célébrons donc la fête, non pas avec du vieux levain, ni du levain de méchanceté et de perversité, mais avec des pains sans levain : dans la pureté et dans la vérité.

Les versets sept et huit sont a priori exemplaires du discours direct, mais en les lisant nous imaginons que ce « vieux levain » représente les actes d’inconduite cités nommément, alors que ce qui est visé ici, c’est notre tendance à la violence collective. Il est sans aucun doute très vieux, mais il est aussi très actuel.

Du verset neuf au verset onze, Paul reprend le rôle de l’humain violent pour résumer le principe d’expulsion du bouc émissaire tel que décrit par René Girard.

9Je vous ai écrit dans ma lettre de ne pas avoir de relations avec les débauchés. 10Je ne visais pas de façon générale les débauchés de ce monde, ou les rapaces et les filous ou les idolâtres, car il vous faudrait alors sortir du monde.

Pris à la lettre, ces propos ironiques disent que si nous rompions toute relation avec toute personne « de ce monde » qui ne suit pas les préceptes des évangiles, nous nous retrouverions tout seul… Quand les tiraillements, les dissensions ou les scandales menacent de faire éclater la communauté, il nous faut trouver d’urgence un coupable « du dehors », car sinon il ne nous reste que les « débauchés », les « rapaces », les « filous » et les « idolâtres » du dedans, c’est-à-dire nous.

12Est-ce à moi, en effet, de juger ceux du dehors ? N’est-ce pas ceux du dedans que vous avez à juger ? 13Ceux du dehors, Dieu les jugera. Otez le méchant du milieu de vous.

L’appel à l’expulsion de la victime émissaire se transforme, avec le retournement parabolique, en invitation à faire le tri en nous entre nos réflexes de violence et la prise de conscience que le mal que nous voyons si facilement à l’extérieur tient aussi domicile chez nous. 

Nous venons de parler de la difficulté de discerner le rôle pris par Paul. Dans ce chapitre, nous voyons deux exemples d’un critère qui peut nous y aider. La prétention des humains de se guider par la raison est, elle aussi, très orgueilleuse, et les arguments « logiques » qui nous servent d’excuse pour exercer la violence le sont rarement. Aussi Paul n’hésite-t-il pas à pointer du doigt les incohérences de ce discours. Un des critères qui permet de reconnaître la forme parabolique, c’est le ridicule, le contresens ou l’absurdité du raisonnement. L’épître aux Corinthiens ne manque pas de tels versets. Au début du chapitre, il y a cette accusation bancale, un peu ridicule : un homme vit avec la femme de son père. A la fin, Paul interdit d’abord toute relation avec le réprouvé, pour insister ensuite : « et même de ne pas manger avec un tel homme ». La surenchère est implicitement incluse dans le premier interdit, ce qui lui enlève toute pertinence. Interdire le repas pris en commun, et ensuite toute relation, cela aurait été cohérent, mais Paul fait l’inverse.

L’auteur de l’épître n’y va pas de main morte pour cette première mise en pratique de sa méthode pédagogique. Il se met en scène dans deux paraboles qui, au niveau de lecture littéral, incitent toutes deux au meurtre. Pour dénoncer cette violence, c’est-à-dire pour retourner la lecture, il nous faut nous reconnaître dans le portrait peu flatteur que Paul peint de nous : homicides au nom de la morale, de l’ordre, de la paix dans la communauté, nous n’hésitons pas à nous faire juges, procureurs et bourreaux. L’explication de la nécessité d’un langage parabolique, que Paul avait esquissée au chapitre quatre, c’est notre violence, et la difficulté de nous y confronter en toute conscience.