Une lecture de la première épître aux Corinthiens.
Texte : https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/15/1
Chapitre 15 : Ce qu’est la résurrection, et ce qu’elle n’est pas.
"L’aiguillon de la mort,
c’est le péché,
et la puissance du péché,
c’est la loi."
Ce long chapitre ne nous éclaire que très peu sur la réalité de la résurrection ; par contre, il nous désigne clairement les fausses pistes à éviter.
Le chapitre quinze de la première épître aux Corinthiens est assez unanimement reconnu comme un des plus difficiles à interpréter de tout le corpus littéraire paulinien. Le mystère de la résurrection est à la fois la clé de voûte de la foi chrétienne et le concept le plus difficile à défendre, à rationnaliser. La tradition s’est évertuée à chercher dans ces versets des vérités théologiques, tâche quasi impossible étant donné le caractère mystérieux, parfois contradictoire et décousu de ce chapitre.
Fidèles à notre méthode de lecture, nous avons mis les vérités théologiques, les idées reçues et les dogmes entre parenthèses ; nous avons évité de prendre à la lettre les affirmations de Paul. Nous avons prêté une attention particulière aux versets agressifs, violents, aux contresens, à la tonalité du texte, aux tics d’écriture. Inutile de cacher, pourtant, les grandes difficultés que nous avons rencontrées pour donner sens à cette lecture. Est-ce parce que le chapitre fait l’objet d’une attention spéciale de la part de son auteur ? Le codage parabolique est-il particulièrement fort pour nous épargner la vision de quelque chose que nous n’avons pas envie de voir ? Ou bien est-ce dû à la somme de préjugés, de peurs inconscientes que l’idée de résurrection induit dans notre esprit, qui rend une lecture libre particulièrement difficile ? Sans doute un peu des deux. Sur la pertinence de cette dernière question, nous verrons que le texte est assez éclairant.
En procédant de la sorte, une structure se laisse entrevoir. Les seules informations pertinentes sur la résurrection se trouvent au début (v. 1 à 11) et à la fin (v. 51 à 58) du chapitre. Tout le reste décrit dans le langage parabolique les mauvaises raisons d’y croire.
Le début du chapitre se contente de rappeler factuellement le témoignage des apôtres ; il ne nous apprend rien de nouveau. La fin se place résolument dans une perspective apocalyptique, et elle est précieuse pour nous éclairer sur le sens spirituel de la résurrection.
Les paraboles qui dénoncent nos mauvaises approches de la question sont au nombre de quatre. La première erreur, c’est l’approche intellectuelle, raisonnée, logique, qui conduit à l’enfermement dans un piège circulaire. La seconde erreur est celle d’une lecture orgueilleuse et névrotique dans laquelle l’humain, responsable de la mort, sera aussi son vainqueur. La troisième erreur est de considérer la résurrection, selon la logique rétributive, comme récompense d’une vie juste et vertueuse. La quatrième erreur est d’adopter, en s’inspirant du cycle naturel de la vie et de la mort, l’idée d’une séparation radicale entre vie matérielle et vie spirituelle.
L’annonce de ces quatre paraboles se trouve au verset 12 :
12Si l’on proclame que Christ est ressuscité des morts, comment certains d’entre vous disent-ils qu’il n’y a pas de résurrection des morts ?
Ce qui peut se traduire par : voyons comment une fausse idée de la résurrection peut naître d’une mauvaise attitude face à ce mystère.
Première erreur : la preuve par la raison.
Du verset 13 au verset 16, la parabole prend la forme d’une suite logique répétée obstinément. La suite comprend trois éléments, toujours traités dans le même ordre :
- Nous avons la foi et nous l’exprimons
- Contenu de cette foi : Christ est ressuscité
- Conséquence de cette vérité : les morts ressusciteront aussi
Elle est présentée en négatif (ce qui est déjà en soi une indication du doute profond qui sous-tend cette approche rationnelle), ce qui implique dans la formulation une inversion de l’ordre logique :
- Si les morts ne ressuscitent pas
- Alors Christ n’est pas ressuscité
- Alors notre prédication est vide et notre foi aussi
Elle est répétée trois fois, l’ordre étant inchangé. Voyons dans le détail les trois occurrences de la suite logique :
13S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité, 14et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi.
15Il se trouve même que nous sommes de faux témoins de Dieu, car nous avons porté un contre-témoignage en affirmant que Dieu a ressuscité le Christ alors qu’il ne l’a pas ressuscité, s’il est vrai que les morts ne ressuscitent pas.
16Si les morts ne ressuscitent pas, Christ non plus n’est pas ressuscité. 17Et si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est illusoire, vous êtes encore dans vos péchés.
Notons l’astuce grammaticale dans la seconde liste (v. 15), qui inverse l’ordre d’apparition des éléments sans inverser l’ordre logique ; cette astuce tient au remplacement de la forme « si ceci est vrai alors cela est vrai » de la première et de la troisième liste par une forme de type « cela est vrai car ceci est vrai », et en déplaçant le premier « si » vers la fin de la phrase.
La double répétition de la liste indique une pensée circulaire, stérile, qui se referme sur elle-même, et qui finalement aboutit à la perte de sens :
18Dès lors, même ceux qui sont morts en Christ sont perdus.
Et la conclusion de Paul est :
19Si nous avons mis notre espérance en Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes.
Cette conclusion n’est pas une sentence, mais bien la conséquence inéluctable de cette mauvaise approche de la résurrection. Evidemment, cette critique implicite de la justification de la foi chrétienne par la raison résonne fortement avec les considérations sur la folie et le scandale des chapitres 1 et 2.
Deuxième erreur : l’humain possède sa vie.
« Mais non » (v. 20) ; cette exclamation introduit une autre manière de considérer la résurrection. Le verset vingt et un expose d’emblée son défaut :
21En effet, puisque la mort est venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts
La première affirmation est déjà sujette à discussion. Nulle part il n’est écrit qu’Adam est responsable de la mort ; la mort n’est pas une caractéristique spécifique aux humains, c’est une loi fondamentale de l’univers. Ce qui est propre aux humains, et que traduisent si bien les premiers chapitres de la Genèse, c’est la conscience qu’ils ont de leur finitude. Ces mots témoignent d’une confusion entre la conscience du réel et le réel. Est-il écrit quelque part que c’est par Jésus que nous gagnons la vie ? On peut certainement argumenter en ce sens, mais la faille de cette vision de la résurrection, c’est d’en éliminer Dieu et de la centrer sur l’humain, ce qui a pour conséquence de la ramener aux habituels schémas hiérarchiques :
23mais chacun à son rang […]
Et ne permet pas de s’affranchir de la violence, de l’instinct de domination, ni de l’idée que la mort est « l’ennemi », une fatalité oppressante, une catastrophe :
25Car il faut qu’il règne, jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. 26Le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort, 27car il a tout mis sous ses pieds.
Notons que Paul ne dénonce nullement dans ces versets une erreur théologique, il ne remet pas en cause les dogmes, il en montre seulement les limites. La métaphore guerrière n’est pas scandaleuse en soi, le verset fait sens. Encore une fois, c’est plus dans le ton général du passage, dans des mots tels que rang, détruire, ennemis, dans des expressions telles que mettre sous ses pieds, qu’il faut trouver le message, que dans le contenu formel.
Troisième erreur : La résurrection comme rétribution pour une vie juste, vertueuse.
C’est dans la troisième parabole qu’on trouve la fameuse allusion au baptême pour les morts, qui a fait couler tant d’encre. Le paragraphe est particulièrement décousu, les versets quasi impossibles à relier entre eux par un sens global. Tel verset traduit une atmosphère de peur aux causes indéterminées :
30Et nous-mêmes, pourquoi à tout moment sommes-nous en danger ?
Tel autre parle d’actes posés pour en obtenir récompense :
32A quoi m’aurait servi de combattre contre les bêtes à Ephèse si je m’en tenais à des vues humaines ?
Le seul dénominateur commun de ces versets, c’est qu’ils suggèrent que la résurrection est une récompense pour nos actes. Nos actes bons, ceux qui ont l’assentiment d’un Dieu qui aime juger. Le sous-entendu, c’est que les autres pourraient bien nous voir interdits de résurrection, ou pire encore, condamnés après celle-ci à des tourments éternels… D’où le ton moralisateur et sentencieux du dernier verset :
34Revenez sérieusement à la raison et ne péchez pas ! Car quelques-uns n’ont pas la connaissance de Dieu, je le dis à votre honte.
C’est l’humain qui parle ainsi qui n’a pas cette connaissance.
Quatrième erreur : la séparation radicale entre la vie matérielle et la vie spirituelle
Le paragraphe débute par une question toute matérielle :
35Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps reviennent-ils ?
Elle est suivie par une belle description du cycle de la vie (v. 37 à 41). La vie est profusion et jaillissement, mais cette qualité ne se gagne que par le recyclage de tout à travers la mort. Il n’y a rien à redire à cette vision naturaliste, sinon justement qu’elle est naturelle et non spirituelle. Or elle va servir de base à une pensée qu’implicitement Paul dénonce comme fausse :
42Il en est ainsi pour la résurrection des morts : semé corruptible, on ressuscite incorruptible ; 43semé méprisable, on ressuscite dans la gloire ; semé dans la faiblesse, on ressuscite plein de force ; 44semé corps animal, on ressuscite corps spirituel.
Encore une fois, il y a de bien belles choses dans cet énoncé. Le problème est qu’il réfute à l’avance toute possibilité d’accéder à la pleine conscience, à la vie spirituelle, ici-bas et de notre vivant. Avant la mort, tout est corruption, et tous nos espoirs sont réservés à l’au-delà. Les mots de Paul tranchent sans nuance :
50Voici ce que j’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité.
Le verset cinquante-trois ne se gêne pas pour contredire cette affirmation péremptoire. Les évangiles non plus, qui nous invitent constamment à nous convertir à l’amour ici et maintenant.
Ce verset clôture les quatre paraboles qui pointent vers notre compréhension incomplète ou déviée de la résurrection des morts. Paul semble décidé à se limiter à cette définition en négatif, mais il concède néanmoins un complément d’information :
51Je vais vous faire connaître un mystère. Nous ne mourrons pas tous, mais tous, nous serons transformés.
Et il lie cette transformation à des images de fin des temps. Ce passage du matériel au spirituel conditionne l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe (v. 54) :
Il fera disparaître sur cette montagne
le voile tendu sur tous les peuples,
l’enduit plaqué sur toutes les nations.
Il fera disparaître la mort pour toujours.
Le Seigneur DIEU essuiera les larmes sur tous les visages
et dans tout le pays il enlèvera la honte de son peuple.
Il l’a dit, lui, le SEIGNEUR.
On dira ce jour-là : C’est lui notre Dieu.
Nous avons espéré en lui, et il nous délivre.
C’est le SEIGNEUR en qui nous avons espéré.
Exultons, jubilons, puisqu’il nous sauve. (Isaïe 25, 7-9)
Et Paul termine par cet étonnant verset :
56L’aiguillon de la mort, c’est le péché, et la puissance du péché, c’est la loi.
C’est par ce verset que Paul fait le lien entre ces considérations mystérieuses sur la résurrection, et toutes les réflexions qui précèdent au sujet de la loi des hommes. C’est sur cette loi que reposent toutes les constructions humaines, et elle ne retient – bien imparfaitement - notre violence qu’au prix d’une compromission mortelle avec le péché ; or c’est ce même péché, autrement dit ce déficit d’amour, qui explique notre peur panique de la mort. Paul ne nous donnera pas d’explication définitive sur la résurrection. Nul discours humain ne peut prétendre cerner ce mystère. La résurrection ne se raconte que dans le langage de l’amour, qui est avare de mots. Paul se contente de nous rappeler, en communion avec Isaïe qui dit sensiblement la même chose, que ce langage, nous ne pouvons y accéder qu’à condition de renoncer au mal, que ce mal réside au cœur de toutes les affaires humaines, et qu’il nous est absolument invisible.
Le chapitre termine sur une promesse :
58[…] votre peine n’est pas vaine dans le Seigneur.
Auteur : Hervé van Baren
Ingénieur, visiteur de prison et engagé en non-violence Afficher tous les articles par Hervé van Baren