St Paul, prophète de l’amour (5)

Une lecture de la première épître aux Corinthiens.

Texte :

https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/5/1

Chapitre 5 : Un scandale.

"Ceux du dehors, Dieu les jugera.
 Otez le méchant du milieu de vous."

Le chapitre cinq introduit la première parabole. Celle-ci a pour sujet un scandale dans la communauté.

Après le discours sur la méthode, Paul passe à la pratique. Première parabole : un scandale qui secoue la communauté.

1On entend dire partout qu’il y a chez vous un cas d’inconduite, et d’inconduite telle qu’on ne la trouve même pas chez les païens : l’un de vous vit avec la femme de son père.

Les premiers mots du premier verset suggèrent d’emblée une atmosphère de médisance et de ragots : « On entend dire partout… ». S’en suit, comme il se doit dans tout bon scandale, l’accusation. Attardons-nous un moment sur celle-ci.

Toujours un scandale dévoile quelque chose de honteux, viole un tabou. Un tabou est un interdit dont il est interdit de parler. Le scandale doit donc contourner ce paradoxe, et il ne le fait jamais par dénonciation franche et explicite de la transgression de l’interdit, mais en la suggérant, en adoptant un langage hypocrite, sinon l’accusation risquerait de devenir plus scandaleuse encore que les actes qu’elle cherche à mettre au jour. En lisant le réquisitoire de Paul, tout le monde comprend qu’il s’agit de relation sexuelle illicite. De quoi pourrait-il s’agir d’autre ? Cependant, cela n’est pas dit explicitement. De même, le lien de parenté entre l’accusé et sa complice n’est pas clair. On déduit de la formule utilisée qu’il s’agit de la belle-mère de l’homme, mais ce n’est pas précisé. Il pourrait tout aussi bien s’agir de sa mère.

Pour pouvoir juger en conscience il faut connaître les faits, or St Paul nous présente un dossier à charge d’une maigreur et d’une ambigüité évidentes. Par contre, quand il s’agit d’informations non-factuelles destinées à étayer l’acte d’accusation, la parole se libère. Le scandale aurait peut-être une chance de s’éteindre tout seul s’il n’était précisé que même chez les païens, on n’agit pas ainsi. Comparaison parfaitement gratuite et sans substance, seulement destinée à charger un peu plus l’accusé.

Au premier verset, nous avons déjà un exemple frappant de l’ambiguïté du message de Paul. Il nous dit qu’il va nous parler dans le langage spirituel, mais il adopte d’emblée le comportement, le ton et le langage de l’accusateur, celui qui initie le scandale. Incroyablement, nous plongeons dans celui-ci sans nous poser une seconde la question de l’intention de St Paul à agir de la sorte.

Les actes qui suivent sont typiques des humains : « absent de corps mais présent d’esprit », j’ai jugé sans me préoccuper des faits. Parce qu’une situation m’est présentée comme scandaleuse, je plonge dans le scandale. La conséquence inéluctable, c’est la condamnation unanime et le meurtre du bouc émissaire, dans le but de préserver « l’esprit », de toute évidence pas saint ici. La précision sur l’absence du corps et la présence de l’esprit est redoutablement subtile. Elle dit que ce n’est pas Paul qui parle, mais nous ! C’est nous, les lecteurs, qui parlons, absolument incapables de juger objectivement sur base de ce qui nous est présenté, parce que cela a eu lieu – tant est que cela ait eu lieu – il y a deux mille ans, que par conséquent nous ne connaitrons jamais la vérité, et que l’accusation est d’une ambiguïté évidente. Malgré cela, nous plongeons tête baissée dans le piège parabolique, nous nous identifions aux accusateurs, et si cette scène prenait chair tout à coup devant moi, je me demande si je ne ferais pas partie des bourreaux. Voilà précisément la révélation, et d’ordinaire elle nous est absolument inaccessible. La seule manière de nous ouvrir les yeux sur la réalité de notre violence, c’est la ruse parabolique. Le fait que pendant deux mille ans nous ayons trouvé toutes les justifications possibles à cet appel de Paul à une justice inique et violente montre à quel point il a raison de dénoncer notre immaturité spirituelle et notre aveuglement. Alors il nous sert du lait : une histoire édifiante dans laquelle le coupable tout trouvé se voit retranché de la communauté pour la plus grande paix de celle-ci, et pour la gloire des hommes.

Paul insiste sur cette glorification de la violence du monde : « Et vous êtes enflés d’orgueil ! », « Il n’est pas beau, votre sujet de fierté ! ». Notons que ces deux exclamations sortent de la parabole, elles sont à prendre à la lettre. C’est là toute la difficulté de l’exercice de lecture. Comment distinguer ce qui est dénonciation directe et indirecte ? Comment discerner le Paul métaphorique, prototype de l’humain violent, et l’apôtre inspiré par l’Esprit ? A la logique, à la sagesse humaine, cet exploit est interdit. Il est réservé au cœur. Nous reconnaître dans ces paroles étranges, toute honte bue, tout orgueil vaincu, voilà la règle de lecture.

Le levain, au verset six, c’est ce qui fait gonfler la pâte de la violence collective, c’est l’unanimité sacrificielle. La Passion du Christ, en rendant explicite cette violence collective, nous invite à nous passer de ce « vieux levain » de « méchanceté et perversité » et à nous retrouver dans une communion joyeuse :

7Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes sans levain. Car le Christ, notre Pâque, a été immolé. 8Célébrons donc la fête, non pas avec du vieux levain, ni du levain de méchanceté et de perversité, mais avec des pains sans levain : dans la pureté et dans la vérité.

Les versets sept et huit sont a priori exemplaires du discours direct, mais en les lisant nous imaginons que ce « vieux levain » représente les actes d’inconduite cités nommément, alors que ce qui est visé ici, c’est notre tendance à la violence collective. Il est sans aucun doute très vieux, mais il est aussi très actuel.

Du verset neuf au verset onze, Paul reprend le rôle de l’humain violent pour résumer le principe d’expulsion du bouc émissaire tel que décrit par René Girard.

9Je vous ai écrit dans ma lettre de ne pas avoir de relations avec les débauchés. 10Je ne visais pas de façon générale les débauchés de ce monde, ou les rapaces et les filous ou les idolâtres, car il vous faudrait alors sortir du monde.

Pris à la lettre, ces propos ironiques disent que si nous rompions toute relation avec toute personne « de ce monde » qui ne suit pas les préceptes des évangiles, nous nous retrouverions tout seul… Quand les tiraillements, les dissensions ou les scandales menacent de faire éclater la communauté, il nous faut trouver d’urgence un coupable « du dehors », car sinon il ne nous reste que les « débauchés », les « rapaces », les « filous » et les « idolâtres » du dedans, c’est-à-dire nous.

12Est-ce à moi, en effet, de juger ceux du dehors ? N’est-ce pas ceux du dedans que vous avez à juger ? 13Ceux du dehors, Dieu les jugera. Otez le méchant du milieu de vous.

L’appel à l’expulsion de la victime émissaire se transforme, avec le retournement parabolique, en invitation à faire le tri en nous entre nos réflexes de violence et la prise de conscience que le mal que nous voyons si facilement à l’extérieur tient aussi domicile chez nous. 

Nous venons de parler de la difficulté de discerner le rôle pris par Paul. Dans ce chapitre, nous voyons deux exemples d’un critère qui peut nous y aider. La prétention des humains de se guider par la raison est, elle aussi, très orgueilleuse, et les arguments « logiques » qui nous servent d’excuse pour exercer la violence le sont rarement. Aussi Paul n’hésite-t-il pas à pointer du doigt les incohérences de ce discours. Un des critères qui permet de reconnaître la forme parabolique, c’est le ridicule, le contresens ou l’absurdité du raisonnement. L’épître aux Corinthiens ne manque pas de tels versets. Au début du chapitre, il y a cette accusation bancale, un peu ridicule : un homme vit avec la femme de son père. A la fin, Paul interdit d’abord toute relation avec le réprouvé, pour insister ensuite : « et même de ne pas manger avec un tel homme ». La surenchère est implicitement incluse dans le premier interdit, ce qui lui enlève toute pertinence. Interdire le repas pris en commun, et ensuite toute relation, cela aurait été cohérent, mais Paul fait l’inverse.

L’auteur de l’épître n’y va pas de main morte pour cette première mise en pratique de sa méthode pédagogique. Il se met en scène dans deux paraboles qui, au niveau de lecture littéral, incitent toutes deux au meurtre. Pour dénoncer cette violence, c’est-à-dire pour retourner la lecture, il nous faut nous reconnaître dans le portrait peu flatteur que Paul peint de nous : homicides au nom de la morale, de l’ordre, de la paix dans la communauté, nous n’hésitons pas à nous faire juges, procureurs et bourreaux. L’explication de la nécessité d’un langage parabolique, que Paul avait esquissée au chapitre quatre, c’est notre violence, et la difficulté de nous y confronter en toute conscience.

Auteur : Hervé van Baren

Ingénieur, visiteur de prison et engagé en non-violence

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *