Une lecture de la première épître aux Corinthiens.
Texte : https://lire.la-bible.net/lecture/1+corinthiens/10/1
Chapitre 10 : la fin des sacrifices
"Je vous parle
comme à des personnes
raisonnables ;
jugez vous-mêmes
de ce que je dis"
Les conditions pour se libérer du carcan de la loi.
Des versets un à quatre on a une belle description des sommets spirituels de l’Exode, la naissance du Peuple Elu. Cette introduction « historique » ressemble au début du chapitre quinze, consacré à la résurrection. A partir du verset cinq, Paul bascule dans un langage de malédiction et de rétribution violente.
5Cependant, la plupart d’entre eux ne furent pas agréables à Dieu, puisque leurs cadavres jonchèrent le désert. 6Ces événements sont arrivés pour nous servir d’exemples, afin que nous ne convoitions pas le mal comme eux le convoitèrent. 7Ne devenez pas idolâtres comme certains d’entre eux, ainsi qu’il est écrit : Le peuple s’assit pour manger et pour boire, puis ils se levèrent pour se divertir.
S’en suivent similaires descriptions des malheurs qui frappent les débauchés, ceux qui tentent le Seigneur, et les propagateurs de ragots. St Paul insiste sur les raisons de ces punitions divines :
11Ces événements leur arrivaient pour servir d’exemple et furent mis par écrit pour nous instruire, nous qui touchons à la fin des temps.
Il y a deux enseignements distincts : « servir d’exemple » fait allusion à la logique de peur qui prévaut sous la loi, le châtiment des injustes étant justifié par la crainte qu’il inspire aux candidats à la transgression. C’est le langage des partisans d’une justice exclusivement dissuasive. La mise par écrit fait allusion aux Ecritures et à leur dimension spirituelle, cachée jusqu’à la fin des temps, or celle-ci n’a pas encore eu lieu, l’humain est encore aveugle :
12Ainsi donc, que celui qui pense être debout prenne garde de tomber.
Puis vient une réflexion sur la tentation, dont Paul souligne l’aspect positif ; d’une part, elle reste modérée par la loi, d’autre part elle participe à la montée de la conscience qui justement permet de relâcher la loi et de résister.
13Les tentations auxquelles vous avez été exposés ont été à la mesure de l’homme, Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter.
C’est l’idée très paulinienne que la transgression de la loi est une étape nécessaire sur le chemin de la conscience. On notera le contraste entre cette indulgence de Paul face au péché et le ton sentencieux des versets qui précèdent.
Paul revient ensuite sur l’idolâtrie, mais abordée avec un tout autre paradigme : la conscience comme seul juge de nos actions.
14C’est pourquoi, mes bien-aimés, fuyez l’idolâtrie. 15Je vous parle comme à des personnes raisonnables ; jugez vous-mêmes de ce que je dis.
Et cette conscience, Paul rejoint là-dessus l’évangéliste Jean, elle se trouve dans la communion dans l’Amour.
17Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps […]
Le lien est fait avec l’ancienne manière de voir. Les sacrifices sanglants s’adressaient à une fausse image de Dieu :
20[…] leurs sacrifices sont offerts aux démons et non pas à Dieu, je ne veux pas que vous entriez en communion avec les démons.
Alors que l’Eucharistie vise la communion avec le vrai Dieu, seule capable de nous rendre conscients, maîtres de nos destins. C’est donc une critique radicale, non pas de l’Ancienne Alliance, mais de toute religion sacrificielle, et le choix à faire entre sacrifice de l’Autre et don de soi est radical :
21Vous ne pouvez boire à la fois à la coupe du Seigneur et à la coupe des démons ; vous ne pouvez participer à la fois à la table du Seigneur et à celle des démons.
La charge est impitoyable, et quand on daigne se souvenir que St Paul n’attaque pas ainsi de vieux rites disparus depuis longtemps, mais bien toutes nos compromissions avec l’ordre violent des humains et toutes nos idoles, y compris celles qui se réclament d’un monde sécularisé et désacralisé, on comprend mieux la prudence de l’écriture, la dissimulation parabolique.
Paul reprend ensuite la proclamation de notre liberté du chapitre six :
23« Tout est permis », mais tout ne convient pas. « Tout est permis », mais tout n’édifie pas.
Et l’allusion précédente à la communion et au don gratuit est explicitée :
24Que nul ne cherche son propre intérêt, mais celui d’autrui.
Et ce profond respect pour l’Autre remplace les interdits sacrés, à présent inutiles :
25Tout ce qu’on vend au marché, mangez-le sans poser de question par motif de conscience ; 26car la terre et tout ce qu’elle contient sont au Seigneur.
Cependant, cette liberté n’est pas absolue, elle est soumise à l’amour. Le verset vingt-huit n’invite pas à se conformer sous la pression d’autrui, mais bien à éviter que celui ou celle qui croit encore plaire au Seigneur en se conformant aveuglément à des règles sans fondement objectif ne soit blessé :
28Mais si quelqu’un vous dit : « C’est de la viande sacrifiée », n’en mangez pas, à cause de celui qui vous a avertis et par motif de conscience ;
Ce sont vraiment deux versets lumineux que celui-ci et le suivant :
29je parle ici, non de votre conscience, mais de la sienne. Car pourquoi ma liberté serait-elle jugée par une autre conscience ?
N’agissons plus par mauvaise conscience, par peur du regard de l’Autre et de la punition divine ; agissons par respect de l’Autre, de ses croyances et de ses valeurs. Bien plus que de morale, Paul nous parle d’un changement de regard. La richesse de ce verset tient à sa concision. Les trois étapes du processus de libération spirituelle peuvent chacune être reliée au regard. Dans l’esclavage, l’humain n’a aucune intériorité, la réalité est extérieure à lui et le regard sur cette réalité est entièrement subjectif ; alors l’Autre n’est qu’un objet du monde, hostile et dangereux, et la réponse à ce regard, c’est la violence. A l’étape de la rébellion, le moi apparaît, mais il est isolé, détaché de l’Autre ; la violence change de nature, mais la relation reste violente. La troisième étape est fondamentalement introspection, prise de conscience du monde tel qu’il existe en moi, et c’est dans ce moi élargi au monde que je peux porter sur l’Autre, cet autre moi, un regard empathique et bienveillant.
32Ne soyez pour personne une occasion de chute, ni pour les Juifs, ni pour les Grecs, ni pour l’Eglise de Dieu. 33C’est ainsi que moi-même je m’efforce de plaire à tous en toutes choses, en ne cherchant pas mon avantage personnel, mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés.
St Paul, dans ces versets magnifiques, unit d’un lien indéfectible la liberté individuelle au souci de l’Autre. Et cette fois-ci, quand il invite à imiter le Christ en l’imitant lui, il est parfaitement honnête.
Auteur : Hervé van Baren
Ingénieur, visiteur de prison et engagé en non-violence Afficher tous les articles par Hervé van Baren